Gavarni - I'm tired !, 1866
Aquarelle et gouache
Mais la Débardeuse, dont les orteils légers effleuraient à peine le parquet, semblait receler dans la souplesse de ses membres et le sérieux de son visage tous les raffinements de l’amour moderne, qui a la justesse d’une science et la mobilité d’un oiseau.
C'est au bal chez Rosanette, le morceau de bravoure qui ouvre la seconde partie. Flaubert n'avait pas besoin de préciser ce qu'était une débardeuse, tout le monde savait. Et tout le monde a oublié.
Les demoiselles en pantalon du XIXème siècle, nous les connaissons par les dessins de Gavarni. Est-ce vraiment lui qui a inventé la débardeuse, ou les débardeuses qui ont fait sa réputation ? Dans cette série de lithos (et parfois d'aquarelles) qui commence en 1830, celle-ci se distingue car elle parle anglais - parce que Gavarni a souvent vécu en Angleterre.
Le débardeur est le docker parisien du XIXème siècle - à l'origine il débarde du bois pour le transport fluvial. Son costume - pantalon de velours large et court (1), blouse de travail, ceinture de couleur - devient un costume de carnaval...
et, surtout, ce costume est unisexe. Une des rares occasions pour une femme de porter à Paris un pantalon en public - pour Carnaval (2) - sans avoir besoin...
Bien sûr le pantalon, de large, se fait moulant...
Gavarni - Va enfant ! Va te livrer aux brefs plaisirs de ton âge !
Le Carnaval à Paris (Les Débardeurs), 1843
crayon, encre et lavis sur papier
et la fête est aussi expérience...
Bertall - Couple de Parisiens en Carnaval
des marges conquises, permises...
- Est-ce que vous n'en avez pas bientôt assez Angélina du Carnaval ?
- T'es malade ?
...et de leurs limites.
Gavarni - ...être fichues au violon comme des rien du tout ! deux femmes comme il faut... vingt-Dieu !
De la charge érotique que portaient les défilés de débardeuses, on peut entendre un écho dans ces pages souvent citées de Julien Gracq, connaissant ses premiers émois charnels lors du Carnaval de Nantes en 1923...
...Il m'en est resté quelques marques : une certaine vulgarité hardie dans la provocation chez la femme, un rien de canaillerie dans l'expression du désir, ne m'ont jamais, depuis, laissé tout à fait insensible.
Julien Gracq - La forme d'une ville, 1985
Oeuvres complètes, T. II pp. 851-853, Gallimard éd.
Sur la question fort sérieuse de ce que portent les femmes au-dessous de la ceinture, on peut lire avec profit l'ouvrage de Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Seuil éd. 2010. Et sur le carnaval parisien, le livre d'Alain Faure, Paris, Carême-prenant, du Carnaval à paris au XIXème siècle, 1800-1914, Hachette-Littérature, 1978.
(1) Court pour l'époque, c'est-à-dire qu'on voit la cheville.
(2) Le Carnaval de Paris - bien avant les bals du 14 juillet - a longtemps été la grande fête populaire de la Ville; il s'est éteint à partir des années 1930. Toujours à propos du Carnaval de Paris, voir ici, là ou encore là.
(3) Remarquez que, contrairement aux annonces ministérielles - d'essence purement médiatique - cette ordonnance n'a pas été officiellement abrogée, comme l'a fait remarquer Christine Bard.