Starlings / Etourneaux - Musique : Philip Glass - The Orange Tree (BO du film The Illusionist, 2006)
Mis en ligne par Sarah K
Aujourd'hui l'oeil des chats a dix ans et vous offre, à cette occasion, ce vol d'oiseaux.
Je voudrais revenir sur les vols d’étourneaux. Vous avez tous observé cela, à la bonne saison, ces extraordinaires figures, ballets, que forment les étourneaux. Ils forment des filets, des structures en filets, liquides, qui se déplacent, et qui sont des objets mathématiques absolument sublimes. On a toujours eu beaucoup de mal à comprendre comment ils faisaient : pour ne pas se quitter, s’éparpiller, et comment ils faisaient pour ne pas non plus s’agglutiner. Il est apparu, contrairement à ce que l’on pense, que cette structure n’est possible que s’il n’y a pas de chef, s’il n’y a pas de leader, d’une part. Et cette structure n’est possible, aussi, que parce que les liaisons sont peu nombreuses, c’est-à-dire que chaque étourneau, donc chaque point du filet d’étourneaux, est lié à peu près à sept ou huit autres étourneaux, dans un lien qui est constamment modifiable – c’est-à-dire que ce n’est pas les sept ou huit mêmes. C’est comme ça tout le temps, et c’est ce ‘‘comme ça tout le temps’’ qui structure la tenue du filet. Or, ce qui m’intéresse là-dedans comme image, c’est qu’on ne peut pas parler d’égalité des étourneaux entre eux, mais on peut parler d’une structure politique, si l’on peut dire, en tous cas spatiale, qui les tient ensemble comme séparés. Cette structure qui tient les hommes ensemble comme séparés, c’est peut-être ce que vainement, depuis qu’il y a des hommes, nous cherchons. Il y aurait à creuser davantage (de ce côté :) voir comment l’espacement n’est possible comme espacement, que parce qu’il espace des distincts, et non pas des semblables. Dans le discours de l’égalité, dans le discours des semblables, dans le discours des égaux, il y a la déposition d’une pensée toujours séparatrice et toujours hiérarchique, ou du moins, d’une pensée qui n’est pas capable, qui n’a pas su séparer la séparation de la hiérarchisation. Et c’est d’autant plus pénible et tracassant, que dès lors qu’il y a représentation, au sens politique, il y a forcément quelque chose de cela de cette non séparation entre la séparation et la hiérarchisation qui se pointe et qui revient.
Jean-Christophe Bailly
Intervention aux Samedis du livre du Collège International de Philosophie sur le thème : L’homme sans. Politiques de la finitude de Martin Crowley, enregistrée le 20 mars 2010 (Source)
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