Résumé des chapitres précédents :
- avez-vous laissé le Pont-Neuf dans l'état où vous l'avez trouvé en le passant ?
- vous savez qui a tué Jacques Tardieu, lieutenant criminel au Châtelet, le 24 Août 1665, mais vous ne savez pas s'il a été tué dans cette tourelle.
- est-elle vraiment la Tour du Crime ?
Elle l'est...
Nadar - Portrait de Paul Féval
...selon Paul Féval, car il faut bien dire que la principale source écrite de la légende, c'est son roman, les Habits Noirs.
Paul Féval - Les habits noirs, IIIème partie : La rue de Jérusalem
Chap. 1 : Meurtre d'un chat - Un coin du vieux Paris
Je ne raconterai pas Les habits Noirs. Sachez simplement que, si ce roman fait certes partie de la vaste descendance du Comte de Monte-Cristo, il n'est pas indigne de son modèle.
Mais réécoutons plutôt le père Boivin...
...tout en faisant un saut au XVIIème siècle. Sur la gravure d'Israël Silvestre, vous avez la Sainte-Chapelle à votre droite et vous voyez, au fond, la Chambre des Comptes (celle de Louis XII, qui a brûlé lors de l'incendie de 1737). Si vous vous rappelez de cette carte...
...bien plus tardive - mais peu importe, c'est simplement pour vous donner une idée des lieux - vous reconnaissez, sur la gravure de Silvestre au premier plan à gauche, l'arcade donnant sur la rue Sainte-Anne aujourd'hui disparue. La rue qui vous fait face au fond, à gauche de la Chambre, est la rue de Nazareth.
Cette rue donnait dans la rue de Jérusalem par un arc (en rouge sur le plan), dit Arc de Nazareth, orné de sculptures par Jean Goujon et qui, transporté pierre par pierre après la destruction du quartier, forme aujourd'hui l'entrée de l'Hôtel Carnavalet sur la rue des Francs-Bourgeois.
Mais réécoutons plutôt le père Boivin...
Israel Silvestre - Veue de la Chambre des Comptes et de la Ste Chapelle et d'une des portes du Palais de Paris, XVIIème siècle
...tout en faisant un saut au XVIIème siècle. Sur la gravure d'Israël Silvestre, vous avez la Sainte-Chapelle à votre droite et vous voyez, au fond, la Chambre des Comptes (celle de Louis XII, qui a brûlé lors de l'incendie de 1737). Si vous vous rappelez de cette carte...
L'enclos de la Cour des Comptes en 1871
L'arc de Nazareth, en rouge
...bien plus tardive - mais peu importe, c'est simplement pour vous donner une idée des lieux - vous reconnaissez, sur la gravure de Silvestre au premier plan à gauche, l'arcade donnant sur la rue Sainte-Anne aujourd'hui disparue. La rue qui vous fait face au fond, à gauche de la Chambre, est la rue de Nazareth.
Cette rue donnait dans la rue de Jérusalem par un arc (en rouge sur le plan), dit Arc de Nazareth, orné de sculptures par Jean Goujon et qui, transporté pierre par pierre après la destruction du quartier, forme aujourd'hui l'entrée de l'Hôtel Carnavalet sur la rue des Francs-Bourgeois.
L'arc de Nazareth vu de l'Hôtel Carnavalet...
...et l'arc de Nazareth sur son emplacement initial, vu de la rue de Jérusalem
Cette dernière gravure est probablement postérieure à 1843, date à laquelle la rue de Nazareth (au fond) fut transformée en impasse. Maintenant, relisez ce que disait le père Boivin et avisez les deux maisons qui encadrent l'arc : à gauche, là où pend une lanterne, celle où naquit Voltaire le 21 novembre 1694 - à droite au n°5, celle ou naquit probablement Boileau le 1er novembre 1636 - le malheureux lieutenant criminel Tardieu fut le parrain de son frère.
Un dernier coup d'œil sur l'arcade avant qu'elle disparaisse...
Un dernier coup d'œil sur l'arcade avant qu'elle disparaisse...
Jules-Adolphe Chauvet - Cette arcade qui faisait partie des bâtiments de la Préfecture de Police fut transportée en ... au Musée Carnavalet ou elle figure comme porte d'entrée sur la rue des francs-Bourgeois, 1890
aquarelle
Source : Gallica
...et maintenant, un grand coup de levier à remonter le temps. Accrochez-vous, nous ne nous arrêtons qu'au XIIème siècle, puis nous remonterons lentement, si vous le voulez bien, au XIVème.
A l'origine, la rue de Nazareth s'appelait rue de Galilée, et d'ailleurs le bout de terrain sur lequel ce bout de quartier fut construit correspond à un îlot de la Seine, l'îlot de Galilée...
T.J.H. Hoffbauer - Plan du quai des Orfèvres et de la rive sud de la pointe de la Cité en 1380 (noir) et 1878 (rouge)
Détail du plan précédent : l'îlot de Galilée
...séparé de la Cité par un bras secondaire de la Seine baptisé le Bras de Jehan le Gras. Cet îlot fut réuni à l'Ile de la Cité sous Philippe-Auguste, à la toute fin du XIIème siècle.
Quant à l'origine de ces noms de rue judaïques, les historiographes donnent trois explications différentes.
La première tient à la proximité de la Sainte-Chapelle et de ses reliques, couronne d'épines et morceau d'une des nombreuses vraies croix.
La seconde : cet endroit aurait servi, au temps des croisades, pour accueillir auprès de la Chapelle les pèlerins en partance pour la Terre Sainte.
La troisième : le lieu aurait servi d'asile, dans l'enceinte du Palais, pour les Juifs quand ils étaient menacés par les émeutes populaires. Ils se seraient alors placés sous la protection du Concierge Royal, c'est-à-dire du chef de la Conciergerie, qui avait autorité sur le Palais après que les rois l'eurent quitté pour l'Hôtel Saint-Pol et le Louvre. Il existait un important quartier juif dans la Cité, précisément rue de la Juiverie (actuellement rue de la Cité) avec une synagogue qui fut transformée en église après la première expulsion des Juifs par Philippe-Auguste, en 1182.
Ben oui, le Vieux Pays vient de loin.
Remarquez que, symboliquement, ces trois explications convergent vers les croisades - qui sont à l'origine de l'antisémitisme de masse en Europe médiévale - et de Philippe-Auguste, croisé lui-même et premier roi de France à expulser les Juifs, inaugurant une longue tradition capétienne de persécutions qui court pendant deux siècles, en passant par Philippe le Bel...
...Louis X le Hutin...
...et Philippe V le Long...
...nous sommes bien dans les Rois Maudits ! Et cette tradition se termine avec Charles VI le Fou qui signe en 1394 l'arrêt définitif d'expulsion de tous les Juifs du royaume, à l'exception du Dauphiné.
Chers téléspectateurs, restons un instant chez les Rois Maudits : au début du XIVème siècle Enguerrand de Marigny...
...fait construire pour Philippe le Bel la nouvelle enceinte du Palais de la Cité.
T.J.H. Hoffbauer - Maquette de l'île de la Cité vers 1527, Musée Carnavalet
Sur cette maquette on peut remarquer, outre l'enclos de la Cour des Comptes...
...cette double tourelle sur le petit bras de la Seine...
...serait-ce la future Tour du Crime ?
T.J.H. Hoffbauer - détail des plans de 1380 (noir) et 1878 (rouge)
On la retrouve sur les plans reconstitués par Hoffbauer...
T.J.H. Hoffbauer - détail des plans de 1754 (noir) et 1835 (rouge)
...sur lesquels l'emplacement de la Tour Tardieu correspond à celui de la tour d'enceinte de Philippe le Bel.
Redescendons un peu le cours du temps, et celui de la Seine : sur ce plan du XVème siècle on voit...
...en amont du pont Saint-Michel la porte fortifiée donnant sur la rue de jérusalem et, toujours, la Chambre des Comptes.
Hoffbauer a reconstitué un panorama censé correspondre à la même époque...
...mais où est notre tourelle ? Ici ?..
...ou là ?
Redescendons un peu le cours du temps, et celui de la Seine : sur ce plan du XVème siècle on voit...
Plan de Truschet et Hoyau, dit plan de Bâle, 1552, détail
...en amont du pont Saint-Michel la porte fortifiée donnant sur la rue de jérusalem et, toujours, la Chambre des Comptes.
Hoffbauer a reconstitué un panorama censé correspondre à la même époque...
T.J.H. Hoffbauer - Le Palais de la Cité en 1560
...où il a pris soin de faire figurer...
Détail du précédent
...une superbe double tourelle qui satisfait toutes nos attentes. Peut-être même est-elle trop belle, cette tourelle, car si, frappés soudain d'un doute, nous remontons d'un siècle...
Jean Fouquet - La descente du Saint-Esprit, Heures d'Etienne Chevalier, XVème siècle
La Cité et le pont Saint-Michel sont vus depuis l'Hôtel de Nesle
...nous retrouvons le même paysage vu d'un œil contemporain...
Détail du précédent : l'enceinte et le pont Saint-Michel
...mais où est notre tourelle ? Ici ?..
...ou là ?
Il faut s'y résoudre : si le voyage dans le temps est bien une technique éprouvée, l'enluminure ni la gravure, pas plus hélas que la photographie, ne sont des sciences exactes - il reste une part d'indétermination et donc de rêve. Ce qui est rassurant, c'est que même si la Tour n'existait pas, le Crime, lui, a bien eu lieu.
(à suivre)
Sacré épisode où l'on peut, en effet, douter de presque tout, sauf du crime. Beau travail, M. Chat. Merci, après un tel article, on est franchement moins cons. Comme quoi l'étude de l'Histoire est essentielle.
RépondreSupprimerJ'ai oublié : merci infiniment pour le lien vers les oeuvres de Féval et notamment Les Habits Noirs que je n'avais trouvé, à la bibliothèque municipale du coin, qu'en deux DVD, donc un film.
RépondreSupprimerPour la miniature des Heures d'Etienne Chevalier, l'identification de la tour à celle représentée dans le détail n° 1 ne me semble guère douteuse, au vu de la proximité du pont. Ce qui fait naître le doute, c'est que le miniaturiste a un peu "écrasé" la perspective, pour magnifier les tours de Notre-Dame.
RépondreSupprimerMerci pour ce beau feuilleton!
Nos héros résoudront-ils l'énigme de la Tour Qui Disparaît? Le saurons-nous dans le prochain épisode?