Andrea Gibson - I do (1)
poème pour le mariage homosexuel, dont on peut lire le texte ici
Mis en ligne par fauxpasprod
Matati ou plutôt Magrandetati, la sœur de ma grand-mère maternelle, était assistante sociale. Autrement dit, dans la longue lignée des Femmesdemafamille, elle faisait partie de la première génération libre de ses mouvements. De celles qui, dans les années 1920, pouvaient inscrire dans la case profession les mots infirmière, institutrice... et non pas couturière (qui voulait dire en fait femme au foyer). De celles qui gagnaient leur vie toutes seules avant de se marier. Et qui éventuellement devaient ensuite obtenir de leur mari l'autorisation de continuer à gagner quelque chose - cela jusqu'en 1965.
Mais Tati faisait partie d'une autre catégorie, plus restreinte celle-là. Tati était célibataire. A l'époque on disait très vite vieille fille. Aujourd'hui on dirait poisson sans bicyclette.
Quand j'étais toupetit, j'aimais beaucoup quand on rendait visite à Tati. Pour trois raisons. D'abord, elle était supercool, même si ce mot n'existait pas en Bas-Languedoc dans les années 1950. Ensuite, elle avait une superbibliothèque ou j'avais progressivement découvert des tas de romancières. Enfin il y avait des tas de jolies images aux murs. Des images de ce genre-là...
Alexander Grinberg - Study of movement, 1926
Via billyjane
...ce qui changeait du reste de Lafamille où les images au mur étaient plutôt de ce genre-ci :
Pourtant, à mes questions émerveillées (elles sont zolies les dames) - les réponses de mes parents restaient évasives.
Inévitablement, au fil des années suivantes, je grandis en sagesse. J'appris qu'il y avait Lamiedetati, invisible pour Lafamille mais dont on parlait beaucoup en l'absence de Tati - ça permettait à Lafamille de se défouler un peu de tout ce silence sur le dos de quelqu'un.
Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai appris que Tati, outre son orientation sexuelle, avait fait partie dans sa jeunesse d'une petite communauté disons, libertaire, qu'elle avait rué dans les brancards des années vingt et trente et - petit commentaire mi-contrit mi-satisfait de Lafamille - qu'on le lui avait fait payer.
There's no such thing as a free lunch. Et je connais moun païs : pour être une jeune lesbienne libertaire à Béziers dans les années 1920, oui, il devait y avoir un prix à payer. Mais quand je la comparais aux femmes de sa génération dans Lafamille - marmonnant dans leur coin, souvent hargneuses et il faut bien le dire, pour certaines considérablement givrées - la plus équilibrée, souriante et visiblement heureuse, c'était Tati. Elle avait payé, sans doute, mais ça valait le prix.
Tati, je ne l'ai plus trop vue par la suite. Mais j'ai appris plus tard encore, quand j'ai moi aussi rué dans les brancards, quand j'étais devenu le mouton noir, qu'elle avait été la seule à me défendre mordicus. Ils ont raison, laissez-les vivre leur jeunesse.
Elle est morte seule à la maison de retraite. Cela faisait partie du prix, je pense, pour les couples lesbiens de son espace et de son temps - pas de cohabitation réelle, trop compliqué, trop visible, et au bout d'alzheimer la solitude, parce qu'encore plus compliqué, les habitudes étaient prises. There's no such thing as a free lunch.
Je ne peux pas m'empêcher de penser que s'il y avait eu un mariage-pour-tous et une PMA-légale-pour-tous cela aurait peut-être changé pas mal de choses pour Tati et Lamiedetati. Pas forcément, mais peut-être. Un foyer (appelez-ça autrement si vous voulez) plus ou moins stable. Un ou deux enfants dans les hypothèses les plus folles. Moins de solitude devant la mort. A small good thing. D'autant que, les enfants de ma Tati supercool, je me surprends à les envier un peu - rétroactivement, au conditionnel passé, bien sûr.
Alors, quand tous ces gens-là - dont certains n'ont pas la moindre compétence pour parler des enfants des autres - défilent, râlent et couinent pour interdire aux lesbiennes d'avoir des enfants ou empêcher ceux qu'elles ont déjà de vivre en paix, la seule chose qui me vient à l'esprit c'est une phrase à la Tati - ils n'aiment pas voir les gens heureux.
Aimer voir les gens heureux, c'est ça :
Elle est morte seule à la maison de retraite. Cela faisait partie du prix, je pense, pour les couples lesbiens de son espace et de son temps - pas de cohabitation réelle, trop compliqué, trop visible, et au bout d'alzheimer la solitude, parce qu'encore plus compliqué, les habitudes étaient prises. There's no such thing as a free lunch.
Je ne peux pas m'empêcher de penser que s'il y avait eu un mariage-pour-tous et une PMA-légale-pour-tous cela aurait peut-être changé pas mal de choses pour Tati et Lamiedetati. Pas forcément, mais peut-être. Un foyer (appelez-ça autrement si vous voulez) plus ou moins stable. Un ou deux enfants dans les hypothèses les plus folles. Moins de solitude devant la mort. A small good thing. D'autant que, les enfants de ma Tati supercool, je me surprends à les envier un peu - rétroactivement, au conditionnel passé, bien sûr.
Alors, quand tous ces gens-là - dont certains n'ont pas la moindre compétence pour parler des enfants des autres - défilent, râlent et couinent pour interdire aux lesbiennes d'avoir des enfants ou empêcher ceux qu'elles ont déjà de vivre en paix, la seule chose qui me vient à l'esprit c'est une phrase à la Tati - ils n'aiment pas voir les gens heureux.
Aimer voir les gens heureux, c'est ça :
Andrea Gibson - Photograph
Mis en ligne par LiLpAuLaFaN2009
(1) Déjà posté ici il y presque trois ans, d'ailleurs...
Et pendant ce temps-là:
Très bel article, émouvant et si bien narré.
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