John Simmons a vu et voit les Etats-Unis en noir et blanc.
John Simmons est l'homme qui a vu l'homme au pistolet.
John Simmons n'avait pas vingt ans quand il est tombé sur The sweet flypaper of life. Il avait trouvé sa voie.
John Simmons a perdu presque toutes ses photos, négatifs compris, dans l'incendie d'un garage.
John Simmons a dû attendre 2016 pour avoir droit à une exposition personnelle. Devinez pourquoi.
John Simmons continue.
Ed van der Elsken - Vali Myers et une amie, 1954
Vali Myers, qui croisa beaucoup de monde bien connu (1) dans ses vies ultérieures, photographiée ici dans Love on the left bank avec quelqu'un qu'on ne connaît pas trop. Les hasards du temps des saucisses-frites :
"C’étaient des enfants déracinés venus de tous les coins d’Europe. Beaucoup n’avaient ni toit, ni parents, ni papiers. Pour les flics, leur statut légal, c’était celui de “vagabonds”. C’est pourquoi ils finissaient tous par se retrouver à la Santé. On vivait dans la rue, les cafés, comme une bande de chiens bâtards. On avait notre hiérarchie, nos codes bien à nous. Les étudiants, les gens qui travaillaient en étaient exclus. Quant aux quelques touristes qui venaient reluquer les "existentialistes”, il était permis de les rouler. On se débrouillait toujours pour avoir du gros vin et du hasch d’Algérie. On partageait tout."
Vali Myers, citée par Jean-Michel Mension, La Tribu, 1998
Un temps bien décrit, aussi, par Jaenada dans son joli livre sur Kaki, dont Vali Myers est un personnage secondaire mais récurrent.
De van der Elsken, déjà.
En souvenir de Jean-Michel Mension, par là.
(1) Pour les amateurs de sérendipité Patti Smith (2) est un lien accidentel entre ce billet et celui du 7 novembre. Dans les années 70 Vali Myers a tatoué Patti Smith, laquelle a récemment préfacé une nouvelle édition remaniée du Mont analogue de René Daumal.
(2) Ah, Patti Smith et la sérendipité...
Artür Harfaux - René et Véra Daumal, ca 1932
Artür Harfaux était le photographe du Grand Jeu.
Qui ne connaît les yeux extraordinaires d’Artür Harfaux, globes de verre bleu dont on ne sait s’ils ne vont pas tout à coup rouler dans le vent parmi les nuages roses comme des coquilles ?
Maurice Henry - Discours du révolté
Dans cette série Michael Wolf a photographié les peintres chinois de Dafen (banlieue de Shenzhen), la ville où l'on fabrique à la chaîne les copies de peintres célèbres vendues sur internet aux clients qui ne peuvent se payer les originaux - ici Noise (Ed Ruscha 1963) et ci-dessous...
La trahison des images, de Magritte.
À rapprocher d'une autre série de Michael Wolf, real toy story, sur la fabrication des jouets en Chine.
Et de Michael Wolf, déjà.
Le vieux chef a soixante-seize ans, il s'est battu pendant près de trente ans contre le Mexique et les États-unis, il a fini par devoir se rendre - pour la quatrième fois - en 1886.
La photo a été prise en 1905, très probablement à l'occasion de la parade d'inauguration du président Theodore Roosevelt, où on fit figurer six chefs indiens à cheval.

Ils avaient accepté de participer en espérant pouvoir négocier des améliorations au sort de leurs peuples. Geronimo, reçu dans le bureau de Roosevelt, lui demanda de permettre aux Apaches Chiricahuas de retourner en Arizona. Roosevelt refusa.
Geronimo retourna dans son exil d'Oklahoma et mourut quatre ans plus tard en prononçant ces derniers mots : "je n'aurais jamais dû me rendre, j'aurais dû me battre jusqu'au bout".
Lors du défilé un membre du comité d'investiture demanda à Roosevelt : "Pourquoi avez-vous choisi Geronimo pour défiler lors de votre parade, Monsieur le Président ? N'est-il pas le plus grand meurtrier à lui seul de l'histoire américaine ?" Roosevelt répondit : "Je voulais offrir un beau spectacle au peuple".
Jack Spencer - Cloud Road, 2007
- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère,
ta sœur ou ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté
jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas...
les merveilleux nuages !
Charles Baudelaire - L'étranger, 1862, repris dans Le spleen de Paris, 1869
D'Armand Rassenfosse, déjà.
...L'espace, se dit M. Chat, la galaxie, que dis-je les galaxies, même les très lointaines, là où les révolutions sont possibles...
Le modèle est Hilde Hubbuch, née Hilde Isay, photographe.
Karl Hubbuch la voyait parfois double ou même quadruple.
De (et à propos de) Hubbuch, déjà.
En remerciant Nemfrog
Tant de virées
dans des villes inconnues
m’épuisent
Je n’ai guère de patience
pour ce genre de tourisme
S’insinuer dans la vie des autres
S’empiffrer de hamburgers frites
tremper sa moustache dans la mousse des chopes
puis se laver les mains en se pinçant le nez
tout dégoutant quel intérêt
À part ça : tant que m’émeut
le déhanchement des femmes
je vieillis au milieu des gargouilles
à têtes de monstres fabuleux
Sûr que j’évite le passé
péniblement et méthodiquement
Le temps passé
(je n’y peux rien)
visiblement m’évite
péniblement et méthodiquement
J’écris une carte postale
représentant un vautour – destinataire illisible
À propos d'iconoclasme, deux publicités gratuites : d'abord pour Le sablier, les souvenirs d'Ekaterina Olitskaïa (1899-1974) tout récemment réédités par les Éditions du bout de la ville : l'immense traversée des camps soviétiques de 1925 à 1956, des Solovki à la Kolyma.
Et puis pour ceux de Vera Broido (1907-2004), Fille de la révolution, chez Allia - depuis l'enfance en déportation sibérienne à la fuite hors d'URSS en 1920, à travers la ligne de front soviéto-polonaise, et la suite...
Un parallèle : chez l'une la persécution des SR, la mémoire des camps, chez l'autre celle de l'exil, du côté des menchéviks tout aussi pourchassés.
Et un paradoxe : à quel point, et souvent plus que d'autres littératures, celles des camps et de l'exil témoignent en faveur de l'humanité.
Je rêve de chiens, dit M. Chat, je me souviens que ça me frigorifiait d'en parler, sur ce divan inconfortable - j'aurais pu dire comme le poète
Raymond Queneau - Journal, Gallimard éd. 1996, entrée du 27 juin 1949
(1) Raymond Queneau - Chêne et chien, 1937.
Et pendant ce temps-là...
...les lecteurs de Christa Wolf (pour Le ciel partagé) et amateurs de cinéma (est-)allemand peuvent voir sur ARTE quatre films de Konrad Wolf.
Paul Fordyce Maitland - Cheyne Walk in Sunshine, 1888
Elle allait maintenant prendre un taxi pour se rendre à Highgate. Mais tout à coup l’idée lui vint qu’elle ne se rappelait plus l’adresse. Ce contretemps se dressa tel un barrage en travers d’un puissant courant de désir. Elle fouilla désespérément dans sa mémoire à la recherche de cette adresse, d’abord en se représentant la maison, puis en essayant de retrouver le souvenir des mots qu’elle avait tracés au moins une fois sur une enveloppe. Plus elle insistait, plus ces mots lui échappaient. Y avait-il « Orchard » dans le nom de la maison, ou « Hill » dans celui de la rue ? Elle renonça. Jamais, depuis l’enfance, elle n’avait ressenti un tel vide, une telle désolation. Affluèrent aussitôt à son esprit, comme si elle sortait d’un rêve, toutes les conséquences de son incompréhensible indolence. Elle imagina le visage de Ralph au moment où il repartirait de chez elle sans un mot d’explication, persuadé que c’était elle qui lui refusait sa porte, et lui signifiait brutalement qu’elle n’avait pas envie de le voir. Elle le vit tourner les talons devant sa porte ; mais il était beaucoup plus facile de l’imaginer ensuite arpentant les rues au hasard et pendant Dieu sait combien de temps que de se figurer qu’il rentrerait directement à Highgate. Peut-être ferait-il une nouvelle tentative pour la rencontrer dans Cheyne Walk ?
Ginner travaille ici sur le Blitz en war artist, mais à partir du pittoresque des ruines, comme Eliot Hodgkin par exemple.