07/02/2019

Louons maintenant les modèles : charité et ténèbres


Angelo Morbelli - Autoritratto allo specchio con la modella / Autoportrait au miroir avec la modèle, 1901




Un tableau à double fond. Si l'on s'approche un peu, pour examiner ce reflet dans le miroir, sur le mur opposé :









...on trouve une autocitation (évidemment, c'est à l'envers) d'un des tableaux les plus connus de l'artiste :



Angelo Morbelli - La sedia vuota / La chaise vide, 1903
Huile sur toile, Collection privée


La sedia vuota fait partie d'une série, Il poema della vecchiaia - Le poème de la vieillesse, six toiles réalisées dans les murs mêmes du Pio Albergo Trivulzio - Asile Charitable fondé par la noble famille Trivulzio, c'est-à-dire l'hospice pour vieux indigents de Milan. Les six tableaux de la série sont exposés à la Biennale d'art de Venise de 1903 où...






...vers le mur de droite (photo ci-dessus), un visiteur se penche pour examiner... 




Angelo Morbelli - Il Natale dei rimasti / Le Noël des délaissés, 1903
Huile sur toile, Galleria d'Arte Moderna, Venise



Mais revenons à la Sedia Vuota. Neuf pensionnaires de l'asile sont assises, les unes tricotant, d'autres immobiles, l'une d'entre elles, la tête dans ses mains en train de prier ou de pleurer. A son côté, une chaise vide - la mort est passée. Dans un premier état du tableau, on apercevait un parapluie par la fenêtre - indice du cortège funèbre en train de s'éloigner. Le peintre l'a supprimé pour éviter trop d'insistance (1).

Morbelli, comme son ami Pellizza da Volpedo, est de la génération des divisionnistes italiens. Comme chez leurs homologues français, leurs thèmes sont souvent sociaux, à l'image du Quarto Stato de Pellizza. Pour sa série, Morbelli s'est installé un atelier dans les locaux mêmes du Pio Albergo. Mais, à la différence de Pellizza, il ne s'agit pas d'une peinture de dénonciation ni même de témoignage, plutôt de constat : Morbelli est un vériste, un sentimental pessimiste - doucement désespéré.




Angelo Morbelli - Mi ricordo quand ero fanciulla (Entremets) / Je me souviens de quand j'étais gamine (Entremets), 1903
Huile sur toile, Pinacoteca della Fondazione Cassa di Risparmio di Tortona




L'œil du peintre, rivé dans celui du spectateur de l'Autoportrait au miroir, lui imprime une leçon, qui est une leçon de ténèbres. La tête penchée, résignée de la modèle fait écho à celle, enfouie dans ses mains, de la vieille tricoteuse. Ce tableau est en quelque sorte une Vanité : Beauté tu vas vieillir, tu finiras peut-être à l'asile, et tu mourras. Une Vanité moderne - non pas métaphysique ou religieuse, mais sociale.



Michel-Richard de Lalande : Troisième leçon de ténèbres pour le Jeudi Saint, ca 1711
Claire Lefilliâtre - Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre 
Mis en ligne par thebarroque
"Aleph (...) Me minavit, et adduxit in tenebras, et non in lucem. Tantum in me vertit et convertit manum suam tota die. Beth. Vetustam fecit pellem meam et carnem meam, contrivit ossa mea." Lamentations, III





On trouvera ici la reproduction des six toiles de l'ensemble.




(1) Variante : pour mieux vendre son tableau.

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