Huile sur toile
Coll. particulière
Dès que je me lève (quatre heures et demie, cinq heures), je prends mon bol sur la table de la cuisine. Je l’ai posé là la veille, pour ne pas trop bouger dans la cuisine, pour minimiser le bruit de mes déplacements.
Je continue de le faire, jour après jour, moins par habitude que par refus de la mort d’une habitude. Être silencieux n’a plus la moindre importance.
Je verse un fond de café en poudre, de la marque ZAMA filtre, que j’achète en grands verres de 200 grammes au supermarché FRANPRIX, en face du métro Saint-Paul. Pour le même poids, cela coûte à peu près un tiers de moins que les marques plus fameuses, Nescafé, ou Maxwell. Le goût lui-même est largement un tiers pire que celui du nescafé le plus grossier non lyophilisé, qui n’est déjà pas mal dans son genre.
Je remplis mon bol au robinet d’eau chaude de l’évier.
Je porte le bol lentement sur la table, le tenant entre mes deux mains qui tremblent le moins possible, et je m’assieds sur la chaise de la cuisine, le dos à la fenêtre, face au frigidaire et à la porte, face au fauteuil, laid et vide, qui est de l’autre côté de la table.
À la surface du liquide, des archipels de poudre brune deviennent des îles noires bordées d’une boue crémeuse qui sombrent lentement, horribles.
Je pense : « Et l’affreuse crème/Près des bois flottants/. » (1) Je ne mange rien, je bois seulement le grand bol d’eau à peine plus que tiède et caféinée. Le liquide est un peu amer, un peu caramélisé, pas agréable.
Je l’avale et je reste un moment immobile à regarder, au fond du bol, la tache noire d’un reste de poudre mal dissoute.
Jacques Roubaud - Dès que je me lève, in Quelque chose noir (2), 1986, Gallimard éd. (3)
(1) Arthur Rimbaud, Les amis, in Comédie de la soif, 1872.
(2) A propos de Quelque chose noir - en tant que chant de deuil et, accessoirement, sujet de concours, voir par exemple ici - et en tant que sujet de concours et, accessoirement, cible d'alerte à la bombe, par là.
(3) Voir également cette page dans Jacques Roubaud, Le Grand Incendie de Londres. Récits, avec incises et bifurcations (1985-1987), 1989, Seuil éd.
(2) A propos de Quelque chose noir - en tant que chant de deuil et, accessoirement, sujet de concours, voir par exemple ici - et en tant que sujet de concours et, accessoirement, cible d'alerte à la bombe, par là.
(3) Voir également cette page dans Jacques Roubaud, Le Grand Incendie de Londres. Récits, avec incises et bifurcations (1985-1987), 1989, Seuil éd.
Et de Jacques Roubaud, déjà
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