C'est une histoire qui aurait plu à l'auteur de Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris. Celle d'un pays qui rétrécit au fur et à mesure que grandit la célébrité du plus solitaire de ses habitants.
1889 - Kafka entre à l'école primaire, l'école élémentaire allemande nationale et civique du Marché-aux-bouchers de Prague. Depuis l'Edit de Tolérance de Joseph II (1782) les enfants juifs doivent être scolarisés en allemand. L'allemand, et non le yiddish, sera la langue des juifs de Bohême. Mais le nationalisme tchèque renforcera d'autant l'antisémitisme, en assimilant les juifs à l'ennemi germanophone.
1897 - Tempête de décembre : trois jours d'émeutes déclenchées par le mouvement des Jeunes Tchèques, d'abord contre les Allemands, et qui se transforment en pogrom antijuif. Le magasin du père de Kafka est épargné.
1914
23 juillet - Le tribunal à l'Askanischer Hof (1), scène qui met fin aux fiançailles avec Felice, et déclenche le processus de création du Procès.
Joseph K., le fil d'un riche négociant,se rendit un soir, sans intention précise...
31 Juillet - Mobilisation générale
2 Août :
L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie - après-midi piscine.
6 Août :
Défilé patriotique. Discours du bourgmestre. Il disparaît puis revient, et on entend l’acclamation allemande : « Vive notre monarque bien-aimé ! Vivat ! » J’assiste à cela avec mon regard méchant. Ces défilés sont l’un des plus répugnants phénomènes qui accompagnent accessoirement la guerre. Ils sont dus à l'initiative de commerçants juifs qui sont tantôt allemands, tantôt tchèques, qui, certes, se l'avouent mais n'ont jamais l'occasion de le crier aussi fort qu'en ce moment. (2)
15 Août :
J'ai recommencé à écrire depuis quelques jours, si cela pouvait durer.
21 Août : Le titre du Procès apparaît pour la première fois dans le Journal. Il est très possible que Kafka ait commencé par la fin, plus exactement par le fameux feuillet Ende / Fin - qui comprend aussi le début (3).
La veille de son trente et unième anniversaire - il était environ neuf heures du soir, l'heure où les rues sont silencieuses -, deux messieurs se présentèrent au domicile de K. En redingote, pâles et gras, portant des hauts-de-forme qui semblaient inamovibles.
Timbres postes caritatifs à l'effigie de l'empereur François-Joseph
émis par l'empire austro-hongrois
émis par l'empire austro-hongrois
au profit des veuves et orphelins de guerre, 1914
1914 toujours - Série de défaites face aux Russes, qui occupent la Galicie, la Bukovine, une partie de la Moravie. Manifestations tchèques à Prague.
1915 - Série d'offensives et contre-offensives; en septembre les austro-hongrois ne doivent leur salut qu'aux renforts allemands, l'armée autrichienne du front de l'est passe sous commandement allemand.
21 octobre - Friedrich Adler, fils du fondateur du parti socialiste autrichien, tue d'un coup de revolver le comte Stürgkh, premier ministre, pour protester contre la guerre. Inquiétudes de la communauté juive : Friedrich Adler est athée, mais juif.
21 novembre - Changement d'empereur.
Timbre austro-hongrois à l'effigie de l'empereur Charles 1er
1917
Mars - Révolution dite de février en Russie. Masaryk organise, à partir des territoires russes, une légion tchèque dont les effectifs sont alimentés par les déserteurs de l'armée autrichienne; il sera expulsé par les bolcheviks après novembre.
1918
1918
Octobre - Effondrement de la Cacanie (4). Le 18 octobre, proclamation de l'indépendance de la Tchécoslovaquie par Masaryk à Philadelphie, gouvernement provisoire à Prague le 28.
Timbre austro-hongrois à l'effigie de l'empereur Charles 1er
surchargé de l'inscription "Poste tchécoslovaque", 1919
Les Tchèques sont indépendants (accessoirement, ils en profitent pour s'autoriser quelques émeutes antisémites).
La Compagnie des Assurances pour les accidents du travail, comme d'autres organismes, est épurée. Les cadres dirigeants "allemands" sont limogés et la situation des employés "non tchèques" examinée au cas par cas. Kafka est un des rares à être maintenu.
"Le conseil d'administration révolutionnaire s'occupa (...) du licenciement des employés allemands que leur nationalité suffisait à incriminer. C'est ainsi qu'arriva sur mon bureau le dossier de Franz Kafka, alors souffrant. Il était constitué de documents administratifs ainsi que de quelques mots d'excuse, désormais rédigés en tchèque, où je reconnus l'écriture fine et agréable à lire de l'écrivain. En tant qu'administrateur de l'institution, j'insistai pour que Franz Kafka demeurât au service de la compagnie, car depuis qu'il était employé, il n'avait aucune faute à se reprocher contre le peuple tchèque (5)."
Encore quelques précisions sur mon directeur. C'est un homme très bon et très aimable, il a surtout été extrêmement bon pour moi; il est vrai qu'il avait aussi des raisons politiques, car il pouvait représenter aux allemands qu'il avait extraordinairement bien traité un des leurs, encore qu'au fond ce ne fût qu'un Juif (6).
Premiers timbres postaux de la République tchécoslovaque, 1919
Le Château de Prague
1920
Avril - Début de la liaison, d'abord simplement épistolaire, avec Milena Jesenská.
14 Août - Rencontre orageuse avec Milena à Gmünd, début de la fin de leur liaison. Ensuite, Kafka se remet à écrire, après une interruption de deux ans - correspondant avec ses amours avec Julie Wohryzek puis Milena.
16 novembre - Trois jours d'émeutes antijuives et antiallemandes à Prague. La foule brûle d'anciens manuscrits en hébreu devant la synagogue Altneu. Le maire de Prague salue ce geste comme une "manifestation de conscience nationale".
Tous les après-midi, maintenant, je me promène dans les rues; on y baigne dans la haine antisémite. Je viens d'y entendre traiter les Juifs de Prasive plemeno (7). N'est-il pas évident qu'il faut partir d'un pays où on est haï de la sorte (pas besoin pour cela de sionisme ou de sentiment d'appartenance nationale) ? L'héroïsme qui consiste à rester quand même ressemble à celui des cafards que rien ne chasse des salles de bains.
Je viens de regarder par la fenêtre : police montée, gendarmes baïonnette au canon, foule qui se disperse en hurlant, et ici, à ma fenêtre, l'horrible honte de vivre toujours sous protection (7).
Décembre - Suite à une rechute tuberculeuse, séjour au sanatorium de Matliary, dans les Tatras. Il y reste jusqu'au 26 août 1921.
1922
De nouveau en congé de maladie depuis le 29 octobre 21, Kafka est emmené par son médecin à la station de sports d'hiver de Spindlermühle (Šplinderow Mlýn). Il se rétablit un peu, commence à écrire Le château.
1er juillet - Mise à la retraite anticipée, sur sa demande, installation à Planá en Bohême, chez sa soeur Ottla.
Fin août - Kafka abandonne la rédaction du Château, puis retourne à Prague chez ses parents en septembre.
1924
Avril - Diagnostic de tuberculose laryngée. Publication de Joséphine la cantatrice. Admission à la clinique de l'université de Vienne.
19 avril - Transfert au sanatorium de Kierling près de Vienne.
Mai - Kafka ne peut plus s'alimenter que difficilement. Il corrige les épreuves d'Un champion de jeûne.
Juin - Grandes difficultés pour avaler et boire, douleurs intolérables. Négociations avec le médecin qui refuse de la morphine.
2 juin - Deux piqûres de morphine.
3 juin 1924, 12h - Début de la vie posthume de Franz Kafka.
"Ici, peu de gens le connaissaient car c'était un solitaire, un homme qui savait et qui était épouvanté par la vie (...ses livres) sont pleins de la moquerie sèche et de l'étonnement sensible d'un homme qui a vu le monde avec tant de clairvoyance qu'il n'a pu le supporter, et qu'il a dû mourir, ne voulant pas battre en retraite."
Milena Jesenská - Národný Listy, 5 juin 1924
1925 Max Brod publie Le procès, suivi du Château en 1926 et de L'Amérique en 27. Puis le recueil La Grande muraille de Chine en 1931.
1933
1933
10 mai - premiers bûchers de livres en Allemagne. Ceux de Kafka, encore trop peu connu des nazis, ne font probablement pas partie des premiers autodafés. Ils figurent en revanche dans les listes ultérieures, comme littérature juive.
1938
29 octobre - Accords de Munich. Annexion des Sudètes par l'Allemagne et (brève) Deuxième République.
1938
29 octobre - Accords de Munich. Annexion des Sudètes par l'Allemagne et (brève) Deuxième République.
Timbre commémorant la participation des légions tchécoslovaques à la bataille de Vouziers (1918)
surchargé de la croix gammée et de l'inscription "Nous sommes libres" en allemand suite à l'annexion des Suèdes, 1938
1939
15 mars - Démantèlement de la Deuxième République tchécoslovaque. La Slovaquie devient indépendante et satellite de l'Allemagne, qui de son côté occupe la partie tchèque, celle-ci devenant son Protectorat de Bohême-Moravie. La persécution spécifiquement nazie des Juifs est étendue au Protectorat. La forteresse de Terezín/Theresienstadt est transformée en ghetto, puis en camp de concentration et de transit à partir de Novembre 1941. Il y avait 117.551 juifs recensés dans le Protectorat au début de son occupation. On estime qu'il en restait 14.000 en 1945.
Et les rares oeuvres de Kafka vont bien entendu se faire rares, voire disparaître des rayons officiels des librairies.
Timbre allemand du protectorat de Bohême-Moravie, 1943
Adolf Hitler regardant Prague
1945-48 : Troisième république tchécoslovaque.
5 avril - Edvard Beneš, chef du Gouvernement provisoire tchécoslovaque, forme un gouvernement de coalition; le premier vice-président est Klement Gottwald, secrétaire général du PC tchécoslovaque.
5 mai - Insurrection de Prague à l'initiative de la Résistance tchèque.
8 mai - En l'absence de soutien extérieur, la résistance accepte un armistice permettant aux allemands de quitter la ville.
9 mai - Entrée des troupes soviétiques.
Aux élections de 1946, le PC obtient la majorité relative dans la partie tchèque, mais pas en Slovaquie.
Aux élections de 1946, le PC obtient la majorité relative dans la partie tchèque, mais pas en Slovaquie.
Timbre tchécoslovaque honorant les soldats de l'armée rouge, 1945
1948
Janvier - Le PC tchécoslovaque, contrôlant le ministère de l'intérieur, procède à la purge des forces de sécurité et de la police. Douze ministres non-communistes démissionnent, espérant que le président Beneš la refusera et convoquera des élections. Le PC mobilise ses partisans.
25 janvier - Le président Beneš accepte les démissions et les conditions du PC.
9 Mai - Nouvelle Constitution d'une quatrième république, la République socialiste Tchécoslovaque.
30 Mai - Elections à une seule liste.
Timbre tchécoslovaque en l'honneur de Joseph Saline, 1949
Les conséquences sur la diffusion de l'œuvre de Kafka sont sévères. Pendant vingt ans, et ensuite pendant la période "normalisation" des années 70, Kafka devient quasiment un auteur pour Samizdat. Plus exactement de semi-Samizdat, car il y eut des éditions de Kafka par les presses officielles mais en tirage limité, évidemment insuffisant pour la demande potentielle (8). Il fallait une autorisation pour y accéder, et ces éditions devaient en principe être conservées dans des coffres par les librairies (9). De plus l'enseignement, la radio, la télévision et le cinéma ignoraient complètement Kafka.
Bien entendu les règles n'étaient pas toujours respectées et il restait toujours d'anciennes éditions en circulation de la main à la main. Il n'en reste pas moins qu'une bonne part de la diffusion du corpus kafkaïen se fit alors grâce au papier carbone.
Vera Tuckerova (9) décrit ainsi l'exemplaire du Château copié par Ivan M. Jirous, conservé dans la bibliothèque des Libri Prohibiti de Prague : copie au papier carbone vert, feuillets non reliés en papier pelure d'oignon entre deux feuilles de carton maintenues par un élastique (10)...
Le paradoxe, c'est que cet aveuglement est parfaitement contemporain de la diffusion mondiale de l'oeuvre de Kafka. Pour mémoire, la traduction française (par Vialatte) du Procès date de 1933...
Pourtant, les dégels sont souvent précédés de courants sous la glace. Tuckerova, dans l'ouvrage que j'ai déjà cité, montre bien que les travaux d'Eisner - le traducteur du Procès, en 58 - sur la littérature du Triple ghetto pragois (ghetto national, linguistique et religieux) préfiguraient la fameuse Conférence de Liblice.
1962
Alexander Dubček entre au Presidium du Parti Communiste tchécoslovaque.
1963
Alexander Dubček devient premier secrétaire de la branche slovaque du PCT.
27-28 mai - Conférence de Liblice sur Kafka organisée en 1963 par l'Académie tchécoslovaque des sciences, pour le 80ème anniversaire de la naissance de Kafka.
A l'initiative de la Conférence, on trouve Eduard Goldstücker. Il a fait partie des accusés lors des Procès de Prague de 1952 et a été condamné en 53 à la prison à vie pour nationalisme juif bourgeois (il était juif lui-même, et le premier ambassadeur en Israël de la troisième république). Il purge sa peine en travaillant dans les mines d'uranium sans protection contre la radioactivité. Il est libéré en 55 après la mort de Staline et devient professeur de littérature à l'Université Charles.
A Liblice, pour la première fois, des critiques tchèques amorcent une réhabilitation de Kafka, à l'encontre de la position officielle qui avait été formulée, dans sa version la plus sophistiquée, par György Lukács (11). Lukács oppose, comme on sait, le réalisme critique "vrai" de Thomas Mann à la "décadence artistique intéressante" de Kafka pour qui la réalité ne serait que "le reflet intemporel (du) néant". Les organisateurs tchèques de la conférence, avec le renfort d'Ernst Fischer, opposent en filigrane un "réalisme sans rivage" au réalisme socialiste officiel.
La discussion porte également sur l'aliénation (Entfremdung - le concept est à la mode). Les orthodoxes soutiennent que l'aliénation telle que décrite par Kafka ne peut valoir que dans une société capitaliste décadente. De son côté Eduard Godstücker, l'organisateur de la conférence, répond - et des oreilles fines ont dû tinter :
Bien entendu les règles n'étaient pas toujours respectées et il restait toujours d'anciennes éditions en circulation de la main à la main. Il n'en reste pas moins qu'une bonne part de la diffusion du corpus kafkaïen se fit alors grâce au papier carbone.
Vera Tuckerova (9) décrit ainsi l'exemplaire du Château copié par Ivan M. Jirous, conservé dans la bibliothèque des Libri Prohibiti de Prague : copie au papier carbone vert, feuillets non reliés en papier pelure d'oignon entre deux feuilles de carton maintenues par un élastique (10)...
Le paradoxe, c'est que cet aveuglement est parfaitement contemporain de la diffusion mondiale de l'oeuvre de Kafka. Pour mémoire, la traduction française (par Vialatte) du Procès date de 1933...
Pourtant, les dégels sont souvent précédés de courants sous la glace. Tuckerova, dans l'ouvrage que j'ai déjà cité, montre bien que les travaux d'Eisner - le traducteur du Procès, en 58 - sur la littérature du Triple ghetto pragois (ghetto national, linguistique et religieux) préfiguraient la fameuse Conférence de Liblice.
Alexander Dubček entre au Presidium du Parti Communiste tchécoslovaque.
1963
Alexander Dubček devient premier secrétaire de la branche slovaque du PCT.
27-28 mai - Conférence de Liblice sur Kafka organisée en 1963 par l'Académie tchécoslovaque des sciences, pour le 80ème anniversaire de la naissance de Kafka.
A l'initiative de la Conférence, on trouve Eduard Goldstücker. Il a fait partie des accusés lors des Procès de Prague de 1952 et a été condamné en 53 à la prison à vie pour nationalisme juif bourgeois (il était juif lui-même, et le premier ambassadeur en Israël de la troisième république). Il purge sa peine en travaillant dans les mines d'uranium sans protection contre la radioactivité. Il est libéré en 55 après la mort de Staline et devient professeur de littérature à l'Université Charles.
A Liblice, pour la première fois, des critiques tchèques amorcent une réhabilitation de Kafka, à l'encontre de la position officielle qui avait été formulée, dans sa version la plus sophistiquée, par György Lukács (11). Lukács oppose, comme on sait, le réalisme critique "vrai" de Thomas Mann à la "décadence artistique intéressante" de Kafka pour qui la réalité ne serait que "le reflet intemporel (du) néant". Les organisateurs tchèques de la conférence, avec le renfort d'Ernst Fischer, opposent en filigrane un "réalisme sans rivage" au réalisme socialiste officiel.
La discussion porte également sur l'aliénation (Entfremdung - le concept est à la mode). Les orthodoxes soutiennent que l'aliénation telle que décrite par Kafka ne peut valoir que dans une société capitaliste décadente. De son côté Eduard Godstücker, l'organisateur de la conférence, répond - et des oreilles fines ont dû tinter :
In dieser Übergangszeit kann es sogar vorkommen - und haben dies schließlich nicht die Erfahrungen unseres Lebens deutlich genug bewiesen? -, daß sich in manchen Etappen die Menschen noch viel stärker entfremdet fühlen als im Kapitalismus.
Dans cette période de transition, (comprendre : vers le socialisme) il est même possible - et finalement les expériences de notre vie ne nous l'ont-elles pas assez clairement démontré - qu'à certains stades (comprendre : de cette transition) les gens se sentent beaucoup plus aliénés que dans le capitalisme.
Goldstücker ajoute, mais, par prudence, seulement dans le compte-rendu écrit de la Conférence :
Weil die Entfremdung existiert, ist Kafka auch bei uns aktuell.
Puisque l'Aliénation existe, Kafka aussi est actuel pour nous. (12)
- cette phrase pouvait paraître nettement plus provocatrice que des allusions philosophiques à l'aliénation.
Puissances de Monsieur K. : on considère cette conférence de Liblice comme un moment initiateur du printemps de Prague, ces huit mois (janvier-août 1968) où la parti communiste tchécoslovaque...
5 janvier 1968 - Alexander Dubček est élu premier secrétaire du PCT.
...marche sur une corde raide tendue vers un socialisme à visage humain, cependant qu'à partir de la fin du mois de juin, les Soviétiques replient le filet qui pourrait amortir la chute et...
Timbre tchécoslovaque en l'honneur de Charlie Chaplin, 1968
Voici pourtant une des fleurs de ce printemps - éclose avec retard, il faut bien le temps des commandes et de l'impression - le premier timbre poste tchécoslovaque...
Timbre tchécoslovaque : Franz Kafka, 1969
...à l'effigie de notre auteur.
L'entrée des chars dans les rues de Prague donne un tour nouveau, pour vingt ans de normalisation, aux études littéraires.
Eduard Goldstücker devient en 68 secrétaire général de l'Union des écrivains, mais dès le mois de juin il reçoit une lettre anonyme adressée à
M. Goldstücker, hyène sioniste bâtarde
et se terminant par
...ton tour viendra, sale juif.
Il la publie, avec sa réponse, dans le Rudé Právo. Mais en 1970 Goldstücker, l'homme qui disait
quitte la Tchécoslovaquie pour l'Angleterre; il ne reviendra qu'en 1990.
Et pendant des années les livres de Kafka devront être stockés dans un coffre spécial au sous-sol du ministère de l'intérieur. On revient aux classiques.
L'entrée des chars dans les rues de Prague donne un tour nouveau, pour vingt ans de normalisation, aux études littéraires.
Eduard Goldstücker devient en 68 secrétaire général de l'Union des écrivains, mais dès le mois de juin il reçoit une lettre anonyme adressée à
M. Goldstücker, hyène sioniste bâtarde
et se terminant par
...ton tour viendra, sale juif.
Il la publie, avec sa réponse, dans le Rudé Právo. Mais en 1970 Goldstücker, l'homme qui disait
les expériences de notre vie ne nous ont-elles pas assez clairement démontré qu'à certains stades de la transition vers le socialisme les gens se sentent beaucoup plus aliénés que dans le capitalisme
quitte la Tchécoslovaquie pour l'Angleterre; il ne reviendra qu'en 1990.
Et pendant des années les livres de Kafka devront être stockés dans un coffre spécial au sous-sol du ministère de l'intérieur. On revient aux classiques.
Timbre tchécoslovaque : centenaire de la naissance de Lénine, 1970
Il est pourtant d'autres classiques des Temps Modernes, des classiques drôles mais inquiets, un peu comme Kafka...
Timbre tchécoslovaque en l'honneur, de nouveau, de Charlie Chaplin, 1977
...et puis les rivages du réalisme, insensiblement, s'écartent; certes, parfois, de façon détournée...
Timbre tchécoslovaque : campagne contre la toxicomanie... 1976
...mais ils s'élargissent, petit à petit...
Timbre tchécoslovaque en hommage à Rudolf Kremlička, 1982
...jusqu'à ce que les rivages et les frontières de tout le reste - économie, société, politique mêlées - s'estompent eux aussi par une obscure magie...
1989
2 mai - La Hongrie ouvre sa frontière avec l'Autriche. Les allemands de l'est commencent à utiliser cette voie pour quitter leur pays; la police hongroise est censée les en empêcher, mais sa surveillance est facilement déjouée.
Nuit du 10 au 11 septembre - Face à l'afflux de réfugiés est-allemands, la Hongrie libère totalement le passage vers l'Autriche, tous les est-allemands présents en Hongrie peuvent y passer. L'Allemagne de l'est rétablit l'obligation du passeport avec visa de sortie pour la Hongrie. Les allemands de l'est qui veulent partir prennent alors la route de la Tchécoslovaquie. En fin septembre, il sont plusieurs milliers entassés à l'ambassade ouest-allemande de Prague.
30 septembre - L'Allemagne de l'est ferme la frontière avec la Tchécoslovaquie. Les allemands de l'est qui s'y trouvent sont autorisés à passer en RFA. En RDA, Les manifestations qui ont commencé le 4 septembre à Leipzig s'amplifient dans toutes les grandes villes.
17 octobre - Erich Honecker est forcé à démissionner par le Bureau politique du SED, le PC est-allemand.
28 octobre - le bureau politique du SED prend connaissance des données économiques qu'Erich Honecker avait jusque là gardées pour lui-même : la RDA est endettée vis-à-vis des banques ouest-allemandes et japonaises à un niveau tel qu'elles lui refusent désormais toute nouvelle ligne de crédit; il reste quelques semaines de trésorerie. Les manifestations s'amplifient; la police ne peut plus les réprimer et doit présenter publiquement ses excuses.
9 novembre - une réunion du comité central du SED décide de modifier les procédures de départ du pays. Günter Schabowski, membre du Bureau Politique, les annonce à la presse : les demandes de sortie seront rapidement satisfaites sans conditions. A la question quand ? il regarde son papier et finit par répondre : maintenant. Les Berlinois de l'est comprennent qu'ils peuvent passer et se rendent immédiatement au pré-contrôle de la Bornholmerstrasse. L'officier responsable demande ce qu'il doit faire; en l'absence de réponse cohérente de ses supérieurs, il lève la barrière à 23h30.
17 novembre - début des manifestations à Prague.
27 novembre - grève générale en Tchécoslovaquie.
28 novembre - le PC tchécoslovaque annonce qu'il abandonne le pouvoir.
28-29 décembre - Alexander Dubček est élu président du parlement tchécoslovaque, Václav Havel président d'une cinquième (et brève) république qui se plonge immédiatement dans la guerre du trait d'union; au final on l'appellera la République fédérale tchèque et slovaque.
...et jusqu'à ce que les deux moitiés d'une planète hier encore partagée s'étreignent, se fondent, s'entremêlent, comme un monde biface qui deviendrait ruban de Möbius, et comme si le velours...
1989
2 mai - La Hongrie ouvre sa frontière avec l'Autriche. Les allemands de l'est commencent à utiliser cette voie pour quitter leur pays; la police hongroise est censée les en empêcher, mais sa surveillance est facilement déjouée.
Nuit du 10 au 11 septembre - Face à l'afflux de réfugiés est-allemands, la Hongrie libère totalement le passage vers l'Autriche, tous les est-allemands présents en Hongrie peuvent y passer. L'Allemagne de l'est rétablit l'obligation du passeport avec visa de sortie pour la Hongrie. Les allemands de l'est qui veulent partir prennent alors la route de la Tchécoslovaquie. En fin septembre, il sont plusieurs milliers entassés à l'ambassade ouest-allemande de Prague.
30 septembre - L'Allemagne de l'est ferme la frontière avec la Tchécoslovaquie. Les allemands de l'est qui s'y trouvent sont autorisés à passer en RFA. En RDA, Les manifestations qui ont commencé le 4 septembre à Leipzig s'amplifient dans toutes les grandes villes.
17 octobre - Erich Honecker est forcé à démissionner par le Bureau politique du SED, le PC est-allemand.
28 octobre - le bureau politique du SED prend connaissance des données économiques qu'Erich Honecker avait jusque là gardées pour lui-même : la RDA est endettée vis-à-vis des banques ouest-allemandes et japonaises à un niveau tel qu'elles lui refusent désormais toute nouvelle ligne de crédit; il reste quelques semaines de trésorerie. Les manifestations s'amplifient; la police ne peut plus les réprimer et doit présenter publiquement ses excuses.
9 novembre - une réunion du comité central du SED décide de modifier les procédures de départ du pays. Günter Schabowski, membre du Bureau Politique, les annonce à la presse : les demandes de sortie seront rapidement satisfaites sans conditions. A la question quand ? il regarde son papier et finit par répondre : maintenant. Les Berlinois de l'est comprennent qu'ils peuvent passer et se rendent immédiatement au pré-contrôle de la Bornholmerstrasse. L'officier responsable demande ce qu'il doit faire; en l'absence de réponse cohérente de ses supérieurs, il lève la barrière à 23h30.
17 novembre - début des manifestations à Prague.
27 novembre - grève générale en Tchécoslovaquie.
28 novembre - le PC tchécoslovaque annonce qu'il abandonne le pouvoir.
28-29 décembre - Alexander Dubček est élu président du parlement tchécoslovaque, Václav Havel président d'une cinquième (et brève) république qui se plonge immédiatement dans la guerre du trait d'union; au final on l'appellera la République fédérale tchèque et slovaque.
...et jusqu'à ce que les deux moitiés d'une planète hier encore partagée s'étreignent, se fondent, s'entremêlent, comme un monde biface qui deviendrait ruban de Möbius, et comme si le velours...
Timbre tchèque : Václav Havel, 1993
...était une révolution, vraiment...?
1992
17 juillet - Déclaration d'indépendance de la Slovaquie
31 décembre, minuit - Divorce de velours : dissolution officielle de la Tchécoslovaquie.
1993 - République Tchèque
1er janvier - Et voici une sixième république. Cette fois-ci les Slovaques sont partis, en Slovaquie. Plus d'allemands non plus, les Sudètes ont été expulsés après 45, et peu de juifs pour le restant. Cette fois, les Tchèques sont enfin seuls.
1992
17 juillet - Déclaration d'indépendance de la Slovaquie
31 décembre, minuit - Divorce de velours : dissolution officielle de la Tchécoslovaquie.
1993 - République Tchèque
1er janvier - Et voici une sixième république. Cette fois-ci les Slovaques sont partis, en Slovaquie. Plus d'allemands non plus, les Sudètes ont été expulsés après 45, et peu de juifs pour le restant. Cette fois, les Tchèques sont enfin seuls.
Mais Monsieur K. est toujours là. Il sourit à l'idée qu'on ne sait même pas exactement comment on doit appeler ce pays.
Timbre tchèque : Franz Kafka, 2013
Un certain caractère enfantin, persistant, indéracinable imprègne notre peuple ; en complète contradiction avec ce que nous possédons de meilleur, un infaillible sens pratique, nous agissons parfois de façon tout à fait inconsidérée, précisément de la façon inconsidérée dont agissent des enfants, d'une manière absurde, prodigue, somptueuse, à la légère, et le tout souvent pour faire une petite farce. Et si bien sûr la joie que nous en éprouvons ne peut plus avoir toute la force d'une joie d'enfant, il en reste certainement quelque chose.
Mais notre peuple n'est pas seulement enfantin, il est aussi pour ainsi dire prématurément vieux, l'enfance et la vieillesse n'évoluent pas chez nous comme chez les autres. Nous ne connaissons pas de jeunesse, nous sommes aussitôt des adultes, et nous restons ensuite adultes trop longtemps, de là une certaine fatigue, une absence d'espoir qui traverse et marque largement le tempérament de notre peuple, pourtant si résistant et plein d'espoir dans son ensemble.
Franz Kafka - Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, 1924
Trad. Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent
(1) Scène moultes fois décrite et analysée, voir par exemple Elias Canetti, L'autre procès. Pour les détails on peut se référer à la biographie d'Ernst Pawel, Franz Kafka ou le cauchemar de la raison, pp. 414-417 de l'édition de poche. Quant à l'analyse du conflit existentiel, le commentaire le plus lumineux est comme d'habitude celui de Marthe Robert, Seul comme Franz Kafka, 1969. Sauf indication contraire, toutes les citations sont celles du Journal dans la traduction de Marthe Robert.
(2) Par tradition, la communauté juive de Prague, germanophone, était culturellement proche de l'Allemagne et se sentait protégée de l'antisémitisme tchèque par les institutions autrichiennes.
(2) Par tradition, la communauté juive de Prague, germanophone, était culturellement proche de l'Allemagne et se sentait protégée de l'antisémitisme tchèque par les institutions autrichiennes.
(3) Qu'on trouvera par exemple aux pp. 745-751 de l'édition des Œuvres par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, de loin la plus pratique : Franz Kafka, Récits, Romans, Journaux, La pochotèque éd. 2000.
(4) Surnom donné par Robert Musil, dans L'homme sans qualités, à l'Autriche-Hongrie impériale et royale - Kaiserlich und Königlich, KuK.
(5) V. K. Krofta, Au bureau avec Franz Kafka, Lidova Demokracie 1969, repris dans J'ai connu Kafka, témoignages réunis par Hans-Gerd Koch, trad. François-Guillaume Lorrain, Solin éd. 1998. Il faut rappeler que le critère est ici essentiellement linguistique; Kafka était "allemand" parce que germanophone, et germanophone parce qu'en tant que juif il avait fait ses études en allemand. Sur une base linguistique, l'empire austro-hongrois distinguait nationalité(s) et citoyenneté; l'habitude perdurait dans la première république tchécoslovaque.
(6) Lettre à Max Brod, mi-mars 1921, œuvres complètes;T. III p. 1041, Gallimard éd. 1984, trad. Marthe Robert.
(7) Lettres à Milena, œuvres complètes T. IV p. 1102, Gallimard éd. 1989, trad. Alexandre Vialatte et Claude David. Prasive plemeno : "race de galeux" en tchèque.
(8) Ainsi la traduction du Procès en tchèque par Eisner, publiée en 58 à 10.000 exemplaires, mais épuisée dès sa publication. On s'interroge encore sur le concours de circonstance qui a permis cette édition. Trois ans plus tard, à l'inverse, un guide de Prague mentionnant Kafka était réservé à l'export.
(9) Sur ces pratiques voir Vera Tuckerova, Reading Kafka in Prague: The Reception of Franz Kafka between the East and the West during the Cold War, 2012 pp. 222-223.
(10) Ibid. p. 227. Girous était le directeur artistique du groupe The plastic people of the universe.
(11) György Lukács, La Signification présente du réalisme critique, trad. M. de Gandillac, Paris, Gallimard, 1960, pp. 68-69.
(12) Eduard Goldstücker - Über Franz Kafka aus der Prager Perspektive, 1963, p. 282, cité par Tuckerova.
(4) Surnom donné par Robert Musil, dans L'homme sans qualités, à l'Autriche-Hongrie impériale et royale - Kaiserlich und Königlich, KuK.
(5) V. K. Krofta, Au bureau avec Franz Kafka, Lidova Demokracie 1969, repris dans J'ai connu Kafka, témoignages réunis par Hans-Gerd Koch, trad. François-Guillaume Lorrain, Solin éd. 1998. Il faut rappeler que le critère est ici essentiellement linguistique; Kafka était "allemand" parce que germanophone, et germanophone parce qu'en tant que juif il avait fait ses études en allemand. Sur une base linguistique, l'empire austro-hongrois distinguait nationalité(s) et citoyenneté; l'habitude perdurait dans la première république tchécoslovaque.
(6) Lettre à Max Brod, mi-mars 1921, œuvres complètes;T. III p. 1041, Gallimard éd. 1984, trad. Marthe Robert.
(7) Lettres à Milena, œuvres complètes T. IV p. 1102, Gallimard éd. 1989, trad. Alexandre Vialatte et Claude David. Prasive plemeno : "race de galeux" en tchèque.
(8) Ainsi la traduction du Procès en tchèque par Eisner, publiée en 58 à 10.000 exemplaires, mais épuisée dès sa publication. On s'interroge encore sur le concours de circonstance qui a permis cette édition. Trois ans plus tard, à l'inverse, un guide de Prague mentionnant Kafka était réservé à l'export.
(9) Sur ces pratiques voir Vera Tuckerova, Reading Kafka in Prague: The Reception of Franz Kafka between the East and the West during the Cold War, 2012 pp. 222-223.
(10) Ibid. p. 227. Girous était le directeur artistique du groupe The plastic people of the universe.
(11) György Lukács, La Signification présente du réalisme critique, trad. M. de Gandillac, Paris, Gallimard, 1960, pp. 68-69.
(12) Eduard Goldstücker - Über Franz Kafka aus der Prager Perspektive, 1963, p. 282, cité par Tuckerova.
Belle semaine.
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