Henri de Toulouse-Lautrec - Programme du Théâtre de l'Œuvre, 4ème soirée de la saison 1894-95
pour Victor Barrucand - Le chariot de terre cuite, pièce en cinq acte d'après la pièce du théâtre indien attribuée au roi Soudraka, 1894
Lithographie à l'encre bleue sur papier saumon (détail)
Le personnage représenté en haut à droite est Félix Fénéon dans son rôle de récitant
Janvier 1895 au Théâtre de l'Œuvre - première représentation du Chariot de terre cuite. Félix Fénéon s'avance, nu sous un drapé de lin, et déclame :
Victor Barrucand - Le chariot de terre cuite : Bénédiction
"Puis il se retira à pas lents et cadencés, et le théâtre éclata en applaudissements" (1). La pièce fait un triomphe, un des plus grands succès de Lugné-Poe. Les applaudissements s'adressaient surtout à un homme, Fénéon, précédemment accusé de terrorisme, qui venait d'être libéré de prison et qui était encore suivi dans ses déplacements par deux policiers en civil.
Mrichhhakatikâ (मृच्छकटिका), Le Chariot de Terre Cuite, est une pièce en 10 actes, classique du théâtre indien sanscrit. La tradition l'attribue à Shûdraka (शूद्रक), prince, poète et auteur dramatique indien probablement imaginaire et dont on ne sait à peu près rien sauf ce qui en est dit dans le prologue de la pièce. C'est une histoire d'amour, d'oppression et de révolte.
Henri de Toulouse-Lautrec - Couverture pour Victor Barrucand - Le chariot de terre cuite, 1895
Les personnages principaux sont Vasantasena, prostituée, son amant Chârudatta, brahmane ruiné, son soupirant Samsthanaka, prince imbécile et cruel.
Léon Carré - Illustration pour une édition du Chariot de terre cuite, 1921
A la fin triomphent l'amour, le bouddhisme et la révolution.
Léon Carré - Illustration pour une édition du Chariot de terre cuite, 1921
La pièce avait été pour la première fois adaptée en français et en cinq actes par Joseph Méry et Gérard de Nerval, sous le titre Le chariot d'enfant, créée au Théâtre de l'Odéon le 13 Mai 1850.
La seconde adaptation est due à Victor Barrucand, toujours en cinq actes, pour le Théâtre de l'Œuvre. Le programme et les décors de l'acte V sont de Toulouse-Lautrec. C'est peut-être à la suite de ces dessins que Lautrec adoptera parfois un monogramme à l'éléphant :
Un des monogrammes de Toulouse-Lautrec
"Au théâtre de l'Œuvre sera joué, adaptation du sanscrit son Chariot de terre cuite, cinq actes souriants et terribles, d'un hindoustanisme authentique, où l'on trouve de si aimables filles et ce voleur qui, au moment de trouer le mur de la maison à dévaliser, hésite : donnera-t-il à la brèche la forme d'un croissant, d'une cruche ou d'un lotus ?"
Félix Fénéon - Victor Barrucand, Portaits du prochain siècle, 1894 (2).
Barrucand, lui aussi anarchiste, collaborera ensuite avec Fénéon à une rubrique de la Revue Blanche intitulée Passim, série de notules politiques dont voici la seconde :
"Du 1er au 6 janvier. — A l'occasion des fêtes du Nouvel An, nous avons eu la dégradation du capitaine Dreyfus, et, autour, le noble spectacle de l'immobilité servile des uns et la fureur lyncheuse des autres. Il y a, disait Renan à une séance du prix Monthyon, un jour dans l'armée où la vertu est récompensée. — Arrestations variées (monde politico-financier). Souhaitons que cesse enfin cette manie de l'épuration : les gens n'auraient qu'à s'imaginer que ce sera propre, après."
Revue Blanche, 1er février 1895
On remarquera que certaines de ces réflexions sont toujours d'actualité.
Pour qui voudrait poursuivre :
Victor Barrucand avait écrit dans Les Temps Nouveaux et il sera l'animateur de la campagne pour Le Pain Gratuit. En 1900 il écrira Avec le feu (3), l'histoire romancée d'Emile Henry, Félix Fénéon et quelques autres. Et pour beaucoup plus d'informations on peut se référer au site de Céline Keller.
On trouvera la traduction du texte sanscrit du Chariot, par Paul Regnaud, ici. (tome I de IV). Et l'adaptation par Claude Roy, en 1969, là.
Et on lit toujours avec intérêt et profit le blog Revue Blanche de François Bourrelier, par exemple ici.
(1) Joan Ungersma Halperin, Félix Fénéon, Gallimard 1991, p. 338.
(2) Félix Fénéon, Œuvres plus que complètes, tome II, Droz éd. p. 604.
(3) Gratuit ici et pas gratuit là.