Tsuguharu Foujita - Titre inconnu
Via Anne Demay
"Il (Lautréamont) avait recopié des pages entières de l'Encyclopédie du docteur Chenu, sur les oiseaux. Plus tard, j'ai été ravi en découvrant, dans les Lèvres nues, le texte fondateur de Debord et Wolman sur le détournement (...) Le docteur Chenu connaissait parfaitement le vol des oiseaux, il le décrivait très bien. Pourquoi s'en priver ? Pourquoi recommencer en moins bien ce qu'il avait déjà exprimé ?"
Raoul Vaneigem, in Gérard Berréby & Raoul Vaneigem, Rien n'est fini et tout commence, Allia éd. 2014, pp. 68-69
Renee van der Stelt - Migration series - Starlings in flight (étourneaux en vol), 2/18/2011, 4 seconds
"Les bandes d'étourneaux ont une manière de voler qui leur est
propre, et semble soumise à une tactique uniforme et
régulière, telle que serait celle d'une troupe disciplinée,
obéissant avec précision à la voix d'un seul
chef. C'est à la voix de l'instinct que les étourneaux
obéissent, et leur instinct les porte à se rapprocher toujours
du centre du peloton, tandis que la rapidité de leur vol les
emporte sans cesse au delà; en sorte que cette multitude
d'oiseaux, ainsi réunis par une tendance commune vers le même
point aimanté, allant et venant sans cesse, circulant et se
croisant en tous sens, forme une espèce de tourbillon fort
agité, dont la masse entière, sans suivre de direction bien
certaine, paraît avoir un mouvement général d'évolution sur
elle-même, résultant des mouvements particuliers de
circulation propres à chacune de ses parties, et dans lequel
le centre, tendant perpétuellement à se développer, mais sans
cesse pressé, repoussé par l'effort contraire des lignes
environnantes qui pèsent sur lui, est constamment plus serré
qu'aucune de ces lignes, lesquelles le sont elles-mêmes
d'autant plus, qu'elles sont plus voisines du centre. Malgré
cette singulière manière de tourbillonner, les étourneaux n'en
fendent pas moins, avec une vitesse rare, l'air ambiant, et
gagnent sensiblement, à chaque seconde, un terrain précieux
pour le terme de leurs fatigues et le but de leur pèlerinage."
Isidore Ducasse - Les chants de Maldoror, Chant V
"Tout ce qui touche au Grand Lac Salé est excessif: la chaleur, le froid, le sel et l’eau saumâtre. C’est un paysage si étrange qu’on ne sait jamais vraiment ce dont il s’agit.
Au cours de ces sept dernières années, le Grand Lac Salé a débordé, puis il a reflué. Le Refuge d’oiseaux migrateurs de Bear River, dévasté par l’inondation, se remet lentement. Des volontaires travaillent à reconstruire les marais, tout comme je m’efforce de reconstruire ma vie. Je suis assise par terre dans mon bureau, avec les carnets de mon journal intime éparpillés tout autour de moi. Je les ouvre, des plumes tombent d’entre leurs feuilles, des grains de sable font craquer leur dos, des brins de sauge mis à sécher entre des pages de souffrance laissent échapper leur parfum – et je me souviens du pays qui est le mien, de la manière dont il façonne mon existence.
La plupart des femmes de ma famille sont mortes. Cancer. À l’âge de trente-quatre ans, je suis devenue l’aînée des femmes de ma parentèle. Les pertes auxquelles j’ai dû faire face au Refuge d’oiseaux migrateurs de Bear River, alors que les eaux du Grand Lac Salé ne cessaient de gonfler, m’ont aidée à affronter les pertes au sein de ma famille. Au moment où la plupart des gens abandonnaient tout espoir concernant le Refuge et déclaraient que tous les oiseaux avaient disparu, j’ai ressenti le besoin de saisir son essence. De la même manière, beaucoup battent en retraite devant quelqu’un en train de mourir; moi j’ai choisi de rester.
La nuit dernière, j’ai rêvé que je me promenais au bord du Grand Lac Salé. Un oiseau violet flottait sur l’eau, et les vagues le berçaient doucement. Je suis entrée dans le lac et, avec mes mains en coupe, je l’ai pris pour le ramener sur le rivage. L’oiseau violet est devenu doré, il a baissé la queue, puis il s’est mis à creuser un trou dans le sable blanc où il s’est retiré avant de s’y enfermer, bouchant l’orifice avec du sel. Je suis partie. C’était à la tombée de la nuit. Le lendemain, je suis retournée au lac. Un encadrement de porte en bois était posé là, formant une arche sous laquelle je devais passer. Tout à coup, il s’est transformé en temple d’Athéna. L’oiseau n’était plus là. Il ne me restait plus que mon souvenir."
Henri Guérard
Et dans ce refuge, les Chevêches des terriers, courlis corlieu, aigrettes neigeuses, hirondelles rustiques, chevalier criard, bécasseaux sanderling et autres oiseaux, les descendantes des pèlerins mormons arrivés en charrettes à bras et pour lesquels "tous les êtres humains, les oiseaux, les joncs et toutes les autres formes d'existence avaient une vie spirituelle avant d'apparaître sur terre" - et par suite l'association Audubon, le refuge des oiseaux migrateurs de Bear River, le Grand Lac Salé, ses utopies échouées ou non, ses désastres écologiques, ses cancers, et ses bombes nucléaires.
"J'appartiens au clan des femmes aux seins coupés. Ma mère, mes deux grands-mères et six de mes tantes on toutes subi l'ablation d'u sein. Sept d'entre elles sont mortes. Les deux qui sont encore en vie viennent de terminer leurs séances de chimiothérapie et de rayons (...) C'est une histoire bien connue dans l'Ouest désertique. "Le jour où on a lancé une bombe sur l'Utah" ou plus précisément les années où l'on a lancé des bombes sur l'Utah : les essais nucléaires de surface dans le Nevada ont eu lieu du 27 janvier 1951 au 11 juillet 1962. Non seulement les vents poussaient les retombées ces le nord, les disséminant au-dessus de "populations d'une utilité toute relative" et entraînant la mort de troupeaux de moutons dans leur sillage, mais le climat de l'époque s'y prêtait."
Ibid. pp. 305 & 308.
Et précédemment, justement tout à côté, ici et là dans le Nevada.