Vitaly Komar & Alexandre Melamid – Il y a trente ans, 1953
huile sur toile, 1982-1983
Ce tableau, qui fait évidemment référence à la date de la mort de Staline (5 Mars 1953), fait partie de la série Réalisme socialiste nostalgique tout comme le saisissant Quand j'étais enfant une fois j'ai vu Staline. Komar et Melamid font partie des pionniers du SotsArt.
L'annonce de la mort du despote rencontre un baiser, une explosion de joie traitée dans un style parodiant le réalisme socialiste (le bras levé typique des icônes triomphalistes, le décor sobre et pompeux, le portrait au mur) tout en en dissonant de façon provocante (les mains aux fesses, les jambes en l'air de la jeune fille - komsomolette en socquettes ?) L'écart est redoublé par le titre nostalgique : c'était il y a trente ans, et que reste-t-il de cette joie-là ?
"Leurs tableaux sont un sorte de psychanalyse sociale qui dévoile la mythologie enfouie dans l'inconscient du soviétique, mythologie qu'il ne se décide pas à s'avouer lui-même. Sous les nombreuses couches des interdits de la censure, (la censure «libérale» refuse tout ce qui est lié à la symbolique officielle de la période stalinienne; la censure stalinienne tout ce qui est individuel, «décadent», «concupiscent», occidental; la censure soviétique tout ce qui est érotique [...]) s'est accumulé dans l'inconscient soviétique tout une série d'associations et de constructions internes qui réunissent, dans un même réseau mythologique, l'Occident, l'érotisme, le stalinisme, la culture historique et l'avant-garde. [...] Komar et Mélamide ne conçoivent absolument pas leur soc-art comme une simple parodie du réalisme socialiste. Il s'agit bien plus de la découverte en eux-mêmes d'un principe universel, d'une composante collective qui les unit aux autres,où cohabitent l'histoire personnelle et l'histoire collective symbolisée par les accords de Yalta...
...qui confortent le partage du monde en deux blocs, chaque bloc faisant office de «nuit», d'«autre», d'«inconscient», de domaine des fantasmes utopiques et négatifs de l'Autre. Cette partition du monde a fait que ces artistes regardaient vers l'Occident lorsqu'ils étaient encore à Moscou et ont souhaité reconstruire leurs traumatismes de l'Est une fois arrivés en Occident. La frontière politique coïncide en quelque sorte avec la frontière floue entre le conscient et l'inconscient de peintres qui changent de place constamment en fonction de la perspective occidentale ou orientale choisie."
L'annonce de la mort du despote rencontre un baiser, une explosion de joie traitée dans un style parodiant le réalisme socialiste (le bras levé typique des icônes triomphalistes, le décor sobre et pompeux, le portrait au mur) tout en en dissonant de façon provocante (les mains aux fesses, les jambes en l'air de la jeune fille - komsomolette en socquettes ?) L'écart est redoublé par le titre nostalgique : c'était il y a trente ans, et que reste-t-il de cette joie-là ?
"Leurs tableaux sont un sorte de psychanalyse sociale qui dévoile la mythologie enfouie dans l'inconscient du soviétique, mythologie qu'il ne se décide pas à s'avouer lui-même. Sous les nombreuses couches des interdits de la censure, (la censure «libérale» refuse tout ce qui est lié à la symbolique officielle de la période stalinienne; la censure stalinienne tout ce qui est individuel, «décadent», «concupiscent», occidental; la censure soviétique tout ce qui est érotique [...]) s'est accumulé dans l'inconscient soviétique tout une série d'associations et de constructions internes qui réunissent, dans un même réseau mythologique, l'Occident, l'érotisme, le stalinisme, la culture historique et l'avant-garde. [...] Komar et Mélamide ne conçoivent absolument pas leur soc-art comme une simple parodie du réalisme socialiste. Il s'agit bien plus de la découverte en eux-mêmes d'un principe universel, d'une composante collective qui les unit aux autres,où cohabitent l'histoire personnelle et l'histoire collective symbolisée par les accords de Yalta...
Vitaly Komar & Alexandre Melamid - La conférence de Yalta, 1982
huile sur toile
Via dneprovskij
...qui confortent le partage du monde en deux blocs, chaque bloc faisant office de «nuit», d'«autre», d'«inconscient», de domaine des fantasmes utopiques et négatifs de l'Autre. Cette partition du monde a fait que ces artistes regardaient vers l'Occident lorsqu'ils étaient encore à Moscou et ont souhaité reconstruire leurs traumatismes de l'Est une fois arrivés en Occident. La frontière politique coïncide en quelque sorte avec la frontière floue entre le conscient et l'inconscient de peintres qui changent de place constamment en fonction de la perspective occidentale ou orientale choisie."
Boris Groys - Staline œuvre d'art totale, trad. Edith Lalliard, Jacqueline Chambon éd. 1990, pp. 140-142.
Quand ils livrent des explications sur ce tableau, Komar et Melamid ont coutume de répondre qu'il représente une coïncidence - un baiser et la mort de Staline. Cette coïncidence, Breton l'aurait nommée hasard objectif et Walter Benjamin - avec plus d'à-propos puisqu'il faut aussi y déceler la part de nostalgie préméditée - y aurait vu une image dialectique.
Bonus : Boris Groys sur Kojève (52', anglais)
Peut-on qualifier la peinture de Komar et Melamid de peinture de la dérision et de la liberté ?
RépondreSupprimerOui, mais cette dérision est tournée contre TOUS les systèmes de pouvoir (voir Staline et E.T. dans le tableau sur Yalta). Cette dérision est doublée d'une critique des esthétiques avant-gardistes (de Malévitch en particulier, aussi de Pollock). Pour K&M, revenir à un style classique, mais de façon dérisoire, c'est s'opposer aux théories avant-gardiste qui, selon eux, ne veulent accélérer le temps historique que pour parvenir au point où l'histoire et le temps s'arrêtent. On pourrait dire que pour K&M la liberté est a-utopique.
RépondreSupprimerOui, j'avais repéré E.T. dans le tableau sur Yalta. Et j'avais compris que la dérision est tournée contre TOUS les systèmes de pouvoir. Merci pour les infos complémentaires dans votre commentaire, M. Chat.
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