30/03/2011

Le bar du coin : L'Arbat, l'ancien et le nouveau

Philipp Kubarev - Новый Арбат/Le nouvel Arbat
Source


et l'ancien, vu par le nouveau...


Дети Арбата/Les enfants de l'Arbat, 2004 dir. Andreï Eshpaj
d'après le roman (1966-1983, pub. 1987) d'Anatoli Rybakov
Mis en ligne par imirenal


...et, oui, les chats avouent un penchant coupable pour les interminables feuilletons lacrymogènes, les Roméo et Juliette soviétiques, les énormes romans russes, particulièrement celui-là...

29/03/2011

Le bar du coin : Hiroshima



Alain Resnais - Hiroshima mon amour, 1959
Via All Things Amazing


"Il faut éviter de penser à ces difficultés que présente le monde quelquefois. Sans ça, il deviendrait irrespirable".





Emmanuelle Riva, Eiji Okada - Hiroshima mon amour
dir. Alain Resnais
Mis en ligne par tetragrama

27/03/2011




Musica Nuda - I will survive (Perren-Fekaris)
Petra Magoni, voc - Ferruccio Spinetti, b
Mis en ligne par danizero


Vendredi soir près de chez les chats, Petra Magoni & Ferruccio Spinetti (Musica Nuda) jouaient/chantaient les morceaux de leur prochain disque, Complici - dont un excellent Mirza dans la lignée du pastiche de Gigliola Cinquetti qui est devenu leur chanson fétiche.  Et puis ils ont repris cette cover de Gloria Gaynor. On la voit ici lors d'un passage sur la RAI il y a quelques années, à pas d'heure - au début on voit passer dans le champ Stefano "tu non suoni, no" Bollani. 

26/03/2011

Odilon Redon - L'intuition, 1877

Ce fusain est connu sous d'autres titres comme Méphistophélès ou Le fou. N'ayant pas encore visité l'exposition en cours ou consulté son catalogue je ne sais s'il y figure, mais il est de toute façon hautement conseillé de se rendre au Grand Palais jusqu'au 20 juin (ou, ensuite, au Musée Fabre de Montpellier) tant il est rare - du moins en France - de voir ces oeuvres rassemblées.

Je dois cette reproduction au très regretté Giornale Nuovo et, si elle n'est pas aussi précise que d'autres qu'on peut trouver ici ou , je dois dire que, pour des raisons que je ne peux m'expliquer, c'est celle que je préfère.

J'ajoute qu'on ne peut pas parler de Redon sans conseiller de visiter encore et encore le site de référence. Un grand merci et une pensée pour le chant du pain qui tient ouvert à tous son grand musée des rêves.

24/03/2011

I shot the sheriff

George Silk pour LIFE © Time Inc.
- A Nevada sheriff standing against the light from an atomic blast 40 miles away/Un shériff du Nevada à contre-jour d'une explosion atomique distante de 65 kilomètres, 1/03/1955


Le shériff fait partie du dispositif de sécurité de l'Opération Teapot, campagne d'essais nucléaires aériens effectuée dans le Nevada du 18 février au 15 mai 1955. Si la date du 1er mars est exacte il se tient devant l'éclair du tir Tesla de 7 kilotonnes (approximativement la moitié d'Hiroshima). Selon certaines estimations, les tirs Teapot dans leur ensemble auraient relâché  dans l'atmosphère 24.500 kilocuries d'iode radioactif (I-131), quantité pouvant entraîner jusqu'à 13.000 cas de cancer de la thyroïde (dont 650 mortels).


Estimation des doses thyroïdiennes consécutives à l'opération Teapot, en rads, par comté.
Source : National Cancer Institute Via The Nuclear Weapon Archive
cliquer sur l'image pour mieux voir les légendes 


Le shériff, dérisoire et stoïque gardien d'une puissance non maîtrisée, est là pour tous ceux qu'on a postés aux limites de la raison - ouvriers aux dosimètres trafiqués, aux carnets de santé falsifiés (1), sous-traitants bêtes à doses, soldats cobayes, habitants expulsés, à tous est dédiée cette chanson...



Screamin' Jay Hawkins - I shot the sheriff
Mis en ligne par lo fi


...What is to be must be
Everyday the bucket goes to the well
One day the bottom will drop out
One day the bottom will drop out
I say : I shot the sheriff
Lord I didn't shoot no deputy no!...
...Et ce qui doit arriver arrive
Tant va la cruche a l'eau
Qu'à la fin elle se casse
Qu'à la fin elle se casse
J'ai tiré sur le shériff
Mais je n'ai pas tiré sur l'adjoint...




Et sur le même sujet, précédemment.



(1) "Le patron d'une petite entreprise résidant à proximité de Fukushima 1, qui avait travaillé pour le compte de fabricants de réacteurs nucléaires (General Electric, Hitachi...), m'avait montré en 2002 le cachet "pas d'anomalie" qu'il avait utilisé pendant des années pour falsifier le carnet de santé des ouvriers dont il avait la responsabilité, jusqu'à ce qu'il soit lui-même atteint de cancer et rejeté par Tepco."
Paul Jobin, sociologue ayant étudié la situation des ouvriers du nucléaire au Japon, en particulier ceux de la centrale de Fukushima I, interview, Le Monde daté du 24/03/11.

22/03/2011

l'art de la cuisine : Jossot

- Et c’te soupe ?… 
– Fiche-moi la paix, je lis Karl Marx…
Gustave Jossot - Dessin pour L’Assiette au beurre n°296 du 1/12/1906
Via Topinambours



Exposition Jossot à la Bibliothèque Forney, jusqu'au 18 juin 2011. Le dossier ici, et le site d'Henri Viltard sur Jossot est là.



Et, pendant ce temps-là...

21/03/2011

Oui, mettons la tête à la lucarne car...





...c'est...



Luciano Rigolini, Sans titre, 2008
Via Weimar





Bill Evans trio - Spring is here (Rodgers-Hart)
Bill Evans-p, Scott LaFaro-b, Paul Motian-d 
New York 28-12-1959
Mis en ligne par helluvagun





...le printemps...





...le printemps...





...le printemps.

Les occupations solitaires : mordre le fil

Victor Lecomte - La couturière

19/03/2011

L'art de la chute : Bas Jan Ader




Bas Jan Ader - Fall 1, 1970
Mis en ligne par magasary


Bas Jan Ader naît dans une famille de pasteurs hollandais, à Winschoten, en 1942 - deux ans plus tard son père sera torturé et exécuté  pour avoir abrité des Juifs. Premières études artistiques peu concluantes, puis stage aux Etats-Unis à Washington DC où il arrive même à vendre un truc à Jackie Kennedy. Retour aux Pays-Bas qui ne lui sourient pas plus qu'avant, et en 1961 départ pour le Maroc en auto-stop, engagement sur un yacht qui fait naufrage en Californie, où Ader s'installe. Etudes  d'art et de philosophie, puis à partir de 1970 la période conceptuelle où il produit ses oeuvres les plus connues, les Chutes et I'm too sad to tell you (1971) sur les thèmes récurrents de la chute, de l'échec et de la perte de maîtrise. Souvent comparés au slapstick keatonien ou à la naïveté calculée de Beckett, les (très) courts métrages d'Ader jouent sur l'écart entre une méticuleuse préparation et la recherche d'une sincérité  - ou, comme Ader l'aurait dit, d'une pureté - qui est un résultat de la performance plutôt que sa condition. Une organisation de l'accidentel, une recherche obsessionnelle de l'imprévu, comme remède à la mélancolie.




Bas Jan Ader - Broken Fall (Geometric), 1971
Mis enligne par renanllaraujo


En juillet 1975, dans le cadre d'un tryptique-performance appelé In Search of the Miraculous (1) Ader part du Cap Cod pour une traversée en solitaire de l'Atlantique sur un Guppy 13, petit bateau à voile de 12 pieds 6 pouces. Le contact radio est perdu trois semaines plus tard, seul son bateau, l'Ocean wave, sera retrouvé en avril de l'année suivante au large de l'Irlande. Amené à La Corogne par le chalutier espagnol qui l'avait découvert, l'Ocean wave, volé dans le port, ne sera jamais retrouvé par la suite - ce qui suffit à conforter dans leur conviction ceux qui pensent qu'Ader est  vivant à Barcelone ou ailleurs, ou même qu'il  vogue toujours quelque part, nouveau Hollandais Volant à la recherche interminable du miracle.



Bas Jan Ader - Métrage récemment retrouvé à U.C. Irvine, où il enseignait
Mis en ligne par PatrickPainterGaller


Ader était un lecteur de Hegel, qu'il photocopiait à ses élèves en école d'art. Son ami William Leavitt a rapporté ce fragment de leurs conversations : après avoir cité un vers d'une de ses chansons préférées "It's not just a feeling, it's a philosophy" - Ader décrivait une oeuvre jamais réalisée : "I want to do a piece where I go to the Alps and talk to a mountain. The mountain will talk of things which are necessary and always true, and I shall talk of things which are sometimes, accidentally true." On ne peut évidemment s'empêcher de penser au C'est ainsi du philosophe devant la triste et ennuyeuse réalité des mêmes montagnes. Vue sous cet angle, la recherche du miraculeux par laquelle Ader va mettre un terme à son activité créatrice et à sa vie tout court pourrait être une quête de la dissonance, de la discordance révélatrice et salvatrice au sein du réel-rationnel (2).


Le (superbe) site officiel est ici,  quelques images supplémentaires et le film ici.



(1) Le premier volet est documenté par une série de photos d'Ader dans les rues de Los Angeles. Le troisième aurait repris le même dispositif, mais cette fois dans les rues d'Amsterdam, après la traversée.

(2)  "Ce qui est rationnel est réel, et ce qui est réel est rationnel", "Was vernünftig ist, das is wirklich, und was ist wirklich, das ist vernünftig". Et ce n'est qu'un angle de vue, toute cavalière, car le Es ist so  d'un Hegel de 25 ans devant les Alpes ne se situe pas dans le même cadre de réflexion que la Préface aux principes de la philosophie du droit, un quart de siècle plus tard. Mais ce genre de vue cavalière sert parfois de pont aux artistes - it's not just a philosophy, it's also a feeling.


18/03/2011

L'art de la fenêtre : Pimenov

Youri Pimenov - Токийское окно/Fenêtre de Tokyo, 1975


Sur Pimenov, précédemment ici et .

16/03/2011

Les vacances du bestiaire : Karel Teige

Karel Teige - Sans titre, collage, 1941
Via Arsvitaest



Karel Teige, dessinateur, photographe et typographe tchèque (né en 1900) fonda en 1920 le groupe moderniste  Devětsil  (1) avec, entre autres, Vítězslav Nezval et Jaroslav Seifert. Entre dadaïsme, constructivisme et Bauhaus, Teige a utilisé les techniques du collage et du photomontage pour aboutir à sa version personnelle de ce que les artistes du Devětsil appelaient des poèmes graphiques ou poèmes-images. Dans ceux de Teige les corps se transforment en paysage ou se percent de fenêtres. Teige a mené les mêmes recherches dans le domaine de la typographie.

Teige fut également un théoricien (marxiste) de l'architecture fonctionnaliste, ami de Hannes Meyer, le directeur du Bauhaus de Dessau, et engagé dans des polémiques à la fois contre Le Corbusier et contre les variantes les moins subtiles du réalisme socialiste (2). Devětsil avait pour objectif, entre autres, de mettre fin à la séparation entre l'art et la vie quotidienne - mot d'ordre commun au surréalisme et au constructivisme. Teige étend ce programme à l'architecture : critique du home sweet home, de la cuisine individuelle et de la chambre conjugale, mais aussi analyse prophétique de la "machine à vivre" de Le Corbusier. Pour Teige, le Corbu est atteint à la fois de romantisme technocratique et de formalisme architectural - avec pour résultat un urbanisme fordiste - éminemment  adapté aux besoins du Capital. En même temps, Teige diverge du courant principal de l'architecture soviétique au moment de son tournant néo-classique vers le monumental et le décoratif plaqué (concours du Palais des Soviets, 1932).

Après le Février victorieux (ce que nous appelons le Coup de Prague) des staliniens tchèques en 1948, les surréalistes et/ou anciens du Devětsil  deviennent une cible, notamment ceux qui comme Teige avaient signé en 1938 une pétition contre les procès de Moscou : ainsi le surréaliste Záviš Kalandra pendu en juin 1950 (3). Vítězslav Nezval, passé du surréalisme au stalinisme pur et dur comme un Aragon ou un Eluard, participe activement à la campagne et attaque publiquement Teige lors d'une réunion publique de l'Union des écrivains tchèques le 22 janvier 1950. Accusé d'être un trotskyste dégénéré Teige doit rédiger une autocritique, est réduit au silence et privé de travail. Il meurt en 1951 d'un arrêt cardiaque. Ses compagnes, Jožka Nevařilová et Eva Ebertová, se suicident au gaz peu après. Konstantin Biebl, un autre ancien du Devětsil, se défenestre. Jaroslav Seifert est mis à l'index. Les archives de Teige sont déménagées et mises sous séquestre par la police. Ses écrits ne reparaîtront qu'avec la libéralisation de la fin des années 60, pour être remis sous le boisseau avec l'invasion de 1968...


On trouve en français deux livres de Teige aux éditions Allia : Le marché de l'art et Liquidation de l'art. Son principal ouvrage sur l'architecture, Nejmenší Byt (1932),  a été publié en anglais sous le titre The minimum dwelling, partiellement accessible en ligne.

Sur Teige, le seul ouvrage disponible est celui d'Eric Dluhosch et Rostislav Švácha, Karel Teige, l'enfant terrible of the Czech modernist Avant-garde, MIT Press, 1999.



(1) Nom tchèque de la plante qu'on appelle en français Pétasite. Le mot signifie "neuf forces", il est possible que les fondateurs du groupe, partisans de la fusion des arts,  aient voulu évoquer les neuf Muses.

(2) Les surréalistes tchèques, à la différence des Français, étaient plus syncrétiques que diviseurs - Teige a longtemps tenté une synthèse entre réalisme socialiste et surréalisme.

(3) Kalandra avait "confessé ses crimes" après trois jours de torture. André Breton, qui était son ami, tenta de faire intervenir Eluard en sa faveur. C'est à cette occasion que ce dernier prononça sa fameuse phrase "j'ai suffisamment à faire avec les coupables qui n'ont pas avoué."

14/03/2011

L'art du petit déjeuner : les nouvelles du jour

William McGregor Paxton - The Breakfast, 1911
Via Gandalf's Gallery 



 Réacteur nucléaire de type BWR Mark I (Fukushima),
représentation schématique du confinement

13/03/2011

L'herbe de Hongrie




L'erba d'Ongria/L'herbe de Hongrie
Texte et musique : Miquèu Montanaro
Chant : Écsy Gyöngyi
Vents d'Est - enr. 1992-1993
Mis en ligne par 44elvina

Mon paire me vou maridar
Per lei motons me far gardar
N'en gardi pas ni un ni dos
N'en gardi jusqu'a trente dos
Lo loup vengut m'en a pris dos
Gentil galant ont'eriatz vos?
N'en éri au jardin de l'amor
N'en fasiu très boquets de flors
N'i a un per ieu l'autre per vos
L'autre per peire l'amoros
Nautrei s'embraçarem tot dos.

L'erba d'ongria
Totjorn reverdilha
L'erba d'amor
Reverdilha totjorn
Mon père veut me marier
Pour que je garde les moutons
je n'en garde pas un ni deux
Mais j'en garde jusqu'à trente deux.
Le loup m'en a pris deux
Gentil galant où étiez-vous ?
J'étais au jardin de l'amour
Je faisais trois bouquets de fleurs
Il y en a un pour moi, l'autre pour vous
L'autre pour Pierre l'amoureux
Nous nous embrassons tous les deux.

L'herbe de Hongrie
Toujours reverdit
L'herbe d'Amour
reverdira toujours.

12/03/2011

Ronde de nuit : la chasse

(Anonyme indien ?) - Homme et femme chassant de nuit (ca 1775 ?)



Et pendant ce temps-là...
...pour tous ceux aiment les chanteurs de rue (en anglais, Buskers), un disque rare : Buskers, aux bons soins de Time will tell you.



10/03/2011

Keine Seine




Barbara - Göttingen, 1967
Mis en ligne par kaatjeaster

09/03/2011

Les vacances du bestiaire : anonymat


Buffon - Histoire naturelle, Collection des animaux quadrupèdes - L'animal anonyme
Source : Université de Strasbourg Via Bibliodyssey

08/03/2011

L'art de la lecture : Katzman/Dalla Costa/James

Evgueni Katzman - Les dentellières de Kaliazine, 1928
Source


Mariarosa Dalla Costa & Selma James
The power of women and the subversion of the community, 1972
"Published by the Falling Wall Press and a group of individuals
of the Women's Movement in England and Italy"


Texte intégral (en anglais) ici. Egalement traduit en français sous le titre Le pouvoir des femmes et la subversion sociale, éd. Adversaire, Genève, 1973.

Pour une introduction au débat sur le salaire ménager et la rémunération du travail invisible dans le mouvement féministe des années '70, on peut lire par exemple Louise Toupin, les courants de pensée féministes. Le point de vue de Dalla Costa a été développé par Harry Cleaver, ici ou , par exemple.

07/03/2011

Ayons congé : philosophant

 
Ferdinand Hodler - Der philosophierende Arbeiter/Le travailleur philosophant
Source


"Il est évident que l'activité de l'homme transforme les matières fournies par la nature de façon à les rendre utiles. La forme du bois, par exemple, est changée, si l'on en fait une table. Néanmoins, la table reste bois, une chose ordinaire et qui tombe sous les sens. Mais dès qu'elle se présente comme marchandise, c'est une tout autre, affaire. A la fois saisissable et insaisissable, il ne lui suffit pas de poser ses pieds sur le sol ; elle se dresse, pour ainsi dire, sur sa tête de bois en face des autres marchandises et se livre à des caprices plus bizarres que si elle se mettait à danser. (...) 

Lorsque les producteurs mettent en présence et en rapport les produits de leur travail à titre de valeurs, ce n'est pas qu'ils voient en eux une simple enveloppe sous laquelle est caché un travail humain identique; tout au contraire : en réputant égaux dans l'échange leurs produits différents, ils établissent par le fait que leurs différents travaux sont égaux. Ils le font sans le savoir. La valeur ne porte donc pas écrit sur le front ce qu'elle est. Elle fait bien plutôt de chaque produit du travail un hiéroglyphe. Ce n'est qu'avec le temps que l'homme cherche à déchiffrer le sens de l'hiéroglyphe, à pénétrer les secrets de l'œuvre sociale à laquelle il contribue, et la transformation des objets utiles en valeurs est un produit de la société, tout aussi bien que le langage."

Karl Marx - Le Capital, livre I ch. 1,4 : le caractère fétiche de la marchandise et son secret (1867)

06/03/2011

Ciel... derniers rayons

Félix Vallotton - Paysage avec des arbres ou Derniers rayons, 1911
Source : Arttattler Via L'Autruchon

05/03/2011

Portrait craché : Vicomte au Carnaval

Rosalba Carriera - Gustavus Hamilton, Second Viscount Boyne, in Masquerade Costume, 1730–31 

Le carnaval de Venise était une étape obligée du Grand Tour  et l'occasion de se faire tirer son portrait à vingt ans par la grande pastelliste du XVIIIème.

03/03/2011

L'oeil, et le chat : petit hommage à John Gutmann

John Gutmann - That Inward Eye, 1940
Via  Crashingly Beautiful



John Gutmann - Titre inconnu
Via All Things Amazing 


John Gutmann apprit la peinture à Breslau auprès d'Otto Müller, et exposa à Berlin en 1931. En 1933, quand il dut émigrer à San Francisco, il acheta un Rolleiflex. Ensuite, il l'utilisa.

On peut lire un article chez l'excellent Weimar, et explorer le site officiel, où on peut voir des extraits du film de Jane Levy Reed sur Gutmann, My eyes were fresh.

Et "that inward eye", bien sûr, c'est une citation du poème que tout le monde connaît, et que tout le monde a donc oublié.

01/03/2011

Je me souviens : Pierrot lunaire

Ivan Stepanovich Ivanov-Sakachev - Une étudiante en histoire de l'art


Je me souviens de l'année 1967-68 - nous avions été finalement un petit groupe à quitter l'Hôtellerie, rêveusement nous achevions (c'est le mot) une licence de philosophie, et pour  changer du Buffet nous avions opté pour le certificat d'esthétique. 

A  l'époque cela se passait dans l'immeuble assyro-babylonien de l'Institut d'art. On s'immergeait dans un océan de jeunes filles à col de dentelle (non, pas toutes, je fantasme a posteriori) qui avaient sur nous l'avantage de connaître les œuvres et qui, de surcroît, nous snobaient. Nous regardions défiler dans le clic-clac des diapositives Poussin, Juan Gris, Fernand Léger et le Quattrocento. Au programme cette année-là, le cubisme...

Juan Gris - Fantômas, 1915
National Gallery of art, Washington
Source : Wikimedia Commons


...les Vanitas...


Antoine Steenwinkel - Vanitas, autoportrait de l'artiste, XVIIème s.
Musée royal des beaux-Arts, Anvers
Source : dianalehti


...et Schönberg.


Eine Nacht. Ein Leben, téléfilm d'Oliver Herrmann, 1999 

mus. : Arnold Schönberg, Pierrot lunaire, 1912 - Christine Schäfer, soprano

sur des paroles d'Albert Giraud, trad. Otto Erich Hartleben
Ensemble InterContemporain, Pierre Boulez
Mis en ligne par eins54 Film

 
Nous écoutions Bernard Lamblin, et Revault d'Allonnes.

Olivier Revault d'Allonnes (1923-2009) fut pour tous ceux qui l'approchèrent un peu plus qu'un simple professeur. Arrière-petit-fils d'Ernest Renan, il était de cette école d'esthétique, derrière Mikel Dufrenne, qui s'efforçait  de résister aussi bien aux ankyloses du marxisme qu'au structuralisme ambiant. Et il fut un des rares enseignants de l'Université à soutenir ses étudiants au point de se fendre dès le 7 mai 1968 d'une lettre personnelle au recteur de Paris : "j'ai manifesté avec eux dans la rue et continuerai à le faire" (1).

C'est en écoutant Revault que, pour la première fois à la Sorbonne ou dans ses dépendances, nous entendions citer ce nom :



Theodor Wiesengrund Adorno
Pièces pour piano
Mis en ligne par Rebecca Farulli


En ce temps-là à Paris, l'école de Francfort n'était pas vraiment hype. Ce qui était hype, c'était Althusser chez les maoïstes (et/ou les staliniens), Lukács et SouB chez les autres. Tout le monde lisait aussi un peu Henri Lefebvre, et beaucoup l'I.S. achetée à un kiosque bien précis du Boulevard St Michel.  Mais pas les Francfortois.

(Même de Walter Benjamin, on ne trouvait en français que deux minces volumes traduits par Maurice de Gandillac, et d'Adorno que la Philosophie de la nouvelle musique et l'Essai sur Wagner.)

Il y avait des ayants droit, des blocages de traduction - surtout, à ce moment-là, sur la Dialectique négative - je me souviens de Revault pestant encore et encore contre ces embûches, avec une indignation non feinte. Mais comme d'habitude l'écume juridique ne faisait que recouvrir les causes plus profondes de cette surdité. Revault fit un patient travail, et efficace, pour soulever les éteignoirs (2). C'est grâce à lui que la Théorie esthétique...




...n'attendit pas pour être traduite aussi longtemps que d'autres livres d'Adorno : trente ans pour les Minima moralia, et la même punition pour la Dialectique de la raison si on prend comme point de départ sa première édition, américaine.

Quand les lumières se rallumaient après les diapositives, et que Revault embrayait sur la Théorie Critique, nous jouissions d'un avantage temporaire sur la tribu des cols de dentelle : Hegel était pour nous un terrain moins glissant que Braque ou Pieter Claesz. Pourtant, nous cachions notre surprise - ainsi, nos précédents maîtres nous avaient caché des choses ? Nous déléguâmes un germaniste  dans Negative Dialektik; il revint, secoua ses sandales et nous confirma, dans ce sabir khagneux qui nous collait à la peau, que c'était trapu mais siouxe - traduire : difficilement compréhensible pour les béotiens, mais d'une intelligence supérieure. Je confirme également, je frotte encore mon côté béotien à cette écorce plutôt rude - chacun peut d'ailleurs s'en faire une idée, ici mais en anglais.

Une ou deux fois par semaine, on s'asseyait dans cette salle, Revault détaillait des séries, on écoutait Pierrot Lunaire - puis nous faisions connaissance avec cette dialectique déroutante qui, comme le scorpion dans le cercle de feu, se pique de son propre dard, mais pour renaître - scorpion/phénix : "plus la pensée, au nom de l'inconditionné, se ferme avec passion à ce qui risque de la conditionner, plus elle se livre, inconsciemment mais d'autant plus fatalement, au monde. Même sa propre impossibilité, elle doit la comprendre par amour du possible. Comparée à l'exigence à laquelle elle doit faire face, la question concernant la réalité ou l'irréalité de la rédemption devient presque indifférente"(3).


A la fin de l'année, Revault se retournait vers ses étudiants et questionnait innocemment

"Alors, qui veut devenir chômeur intellectuel ?"

Comme tout navire, la Théorie Critique avait besoin de rameurs ; nous étions des poltrons, nous n'avons pas levé le doigt. Par ailleurs nous étions en avril 68, le temps passa d'abord très vite, puis plus lentement. Et je n'ai plus jamais croisé Revault que dans ses livres, mais je lui serai éternellement reconnaissant pour ce scorpion, et ce phénix.








On peut facilement trouver sa thèse de 1973, récemment rééditée, c'est incroyable comme un livre de presque quarante ans a peu vieilli - si quelques passages détonent, c'est simplement que l'époque s'est avachie autour de cette pensée. Qui d'autre que Revault pouvait essayer de transcrire des chants de rossignol dans la notation Hornbostel-Souriau, simplement pour vérifier que les Hymnes de passereaux au lever du jour ou les Oiseaux exotiques, de Messiaen, n'étaient pas réalistes ? Il y a aussi dans ce livre un essai lumineux sur Picabia, une analyse de l'Arrêt Bonnard (4) qui se lit comme un roman policier, et le premier chapitre sérieux publié en France sur le Rébétiko...



Το μινόρε της αυγής/La mineure de l'aube (Spyros Peristeris/Minos Matsas), 1947
Chant : Apostolos Chatzichristos, Markos Vamvakaris, Giannis Stamoulis
Bouzouki : Kostas Kaplanis
Mis en ligne par de es sempe

 
Et cela se termine par un parallèle entre Lénine et Jerry Rubin (à l'avantage de ce dernier) et par cette conclusion souvent citée, mais je la cite encore : "...le rétrécissement croissant de la zone de création dans la vie des hommes ne peut que réaliser les conditions d'une créativité encore inconnue. La détermination est finalement toujours remise en question par la création, et ceci d'autant plus radicalement qu'elle détermine plus étroitement. (...) Toutes les nécessités de l'art, matérielles, techniques, traditionnelles, sociales, idéologiques, n'ont jamais abouti à autre chose qu'à la nécessité de les détruire. Ce sont les oppressions qui suscitent les sursauts, et ceux-ci ne sont possibles que parce que les oppressions, qui se veulent ou se croient totales, ne le sont jamais. Simplement, plus elles cherchent à s'exercer sur la totalité, plus elles s'engagent à être totalement rejetées. (...) La grande loi de la création artistique, c'est que sa puissance est proportionnelles à celle des systèmes qui veulent l'étouffer. Plus les règles s'étendent, et plus elles commandent, plus s'élargit le champ où l'art nouveau va les déborder, et plus s'accroît la force qui les brisera. Il est probable que cette loi n'est pas limitée à l'activité esthétique, pas plus que cette dernière n'est limitée, dès aujourd'hui, au domaine de l'art. Dans une société qui tend à abolir toute création, l'abolition de cette société devient la seule création possible" (5). 


 Vadim Zakharov - Adorno Denkmal/Monument Adorno, 2003
Theodor-W.-Adorno-Platz, Frankfurt am Main
Sur le bureau du philosophe, le métronome et l'exemplaire de la Dialectique négative.
Source : Wikimedia Commons





(1) Lettre ouverte à M. le Recteur, journal Combat, 10 mai 1968. Dans la même lettre Revault, qui était encore simple assistant et qui avait aussi soutenu les militants algériens pendant la guerre de libération, faisait clairement le rapprochement à propos du comportement de la police parisienne qui s'était "fait la main pendant huit ans contre les Algériens".

(2) Il ne fut pas le seul, il y eut aussi Jean-Michel Palmier, Jean-Marie Vincent et Miguel Abensour.

(3) T. W. Adorno, Minima moralia, réflexions sur la vie mutilée, fragment 153, trad. Eliane Kaufholz, Payot éd. 1983.

(4) Dalloz 1953, pp. 405-408. L'arrêt, du 17 janvier 1953,  déniait au peintre la liberté de décider par lui-même ce qui dans sa production relevait de l'œuvre achevée, par opposition aux ébauches. Les juges confièrent cette répartition à des experts.  Le litige portait sur la dissolution de la communauté de biens entre Bonnard et son épouse décédée : les ébauches restaient propriété exclusive du peintre, ce qui n'était pas le cas des œuvres achevées.

(5) Olivier Revault d'Allonnes, La création artistique et les promesses de la liberté, Klincksieck éd. 1973, rééd. 2007, pp. 290-291.