23/12/2011

Ronde de nuit : Bracquemond


Félix Bracquemond - O Lune !
Via All Things Amazing



La lune offensée

Ô Lune qu'adoraient discrètement nos pères,
Du haut des pays bleus où, radieux sérail,
Les astres vont se suivre en pimpant attirail,
Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,

Vois-tu les amoureux, sur leurs grabats prospères,
De leur bouche en dormant montrer le frais émail ?
Le poète buter du front sur son travail ?
Ou sous les gazons secs s'accoupler les vipères ?

Sous ton domino jaune, et d'un pied clandestin,
Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu'au matin,
Baiser d'Endymion les grâces surannées ?

- " Je vois ta mère, enfant de ce siècle appauvri,
Qui vers son miroir penche un lourd amas d'années,
Et plâtre artistement le sein qui t'a nourri ! "


Charles Baudelaire (première publication dans L'Artiste, 1862, repris dans Les Fleurs du Mal, Tableaux parisiens).


Il existe plusieurs interprétations du dernier tercet : allusion autobiographique à Mme Aupick, référence à une planche des Caprices de Goya, Hasta la muerte, ou encore celle que je préfère, par Albert Feuillerat : la mère serait la ville de Paris en plein replâtrage haussmannien au moment de la première publication du sonnet, et le miroir serait la Seine.


 

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