09/06/2011

Le Pas d'armes du roi Jean


"Plus de six cents lances y furent brisées ; on se battit à pied et à cheval, à la barrière, à coups d'épée et de pique, où partout les tenants et les assaillants ne firent rien qui ne répondît à la haute estime qu'ils s'étaient déjà acquise ; ce qui fit éclater ces tournois doublement. Enfin, au dernier, un gentilhomme nommé de Fontaines, beau-frère de Chandiou, grand prévôt des maréchaux, fut blessé à mort ; et au second encore, Saint-Aubin, autre gentilhomme, fut tué d'un coup de lance."

ANCIENNE CHRONIQUE.




Ça, qu'on selle,
Écuyer,
Mon fidèle
Destrier.
Mon cœur ploie
Sous la joie,
Quand je broie
L'étrier.





Par saint-Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan;
Viens, écoute,
Par la route,
Voir la joute
Du roi Jean.




Camille Saint-Saëns - Le pas d'arme du Roi Jean - Didier Henry, baryton
Mis en ligne par operazaile





Qu'un gros carme
Chartrier
Ait pour arme
L'encrier;
Qu'une fille,
Sous la grille,
S'égosille
A prier;





Nous qui sommes,
De par Dieu,
Gentilshommes
De haut lieu,
Il faut faire
Bruit sur terre,
Et la guerre
N'est qu'un jeu.



Arnold Böcklin - Der Abenteurer, 1882
Source : Wikimedia Commons


Ma vieille âme
Enrageait;
Car ma lame,
Que rongeait
Cette rouille
Qui la souille,
En quenouille
Se changeait.


Jean Fouquet - Grandes chroniques de France
Dagobert Ier réfugié à Saint-Denis, détail


Cette ville,
Aux longs cris,
Qui profile
Son front gris,
Des toits frêles,
Cent tourelles,
Clochers grêles,
C'est Paris !


Jean Fouquet - Grandes chroniques de France
Entrée de l'empereur Charles IV à Saint-Denis


Quelle foule,
Par mon sceau !
Qui s'écoule
En ruisseau,
Et se rue,
Incongrue,
Par la rue
Saint-Marceau.


Jean Fouquet - Heures d'Etienne Chevalier
La descente du Saint-Esprit


Notre-Dame !
Que c'est beau !
Sur mon âme
De corbeau,
Voudrais être
Clerc ou prêtre
Pour y mettre
Mon tombeau !


Bible d'Olomouc


Les quadrilles,
Les chansons
Mêlent filles
Aux garçons.
Quelles fêtes !
Que de têtes
Sur les faites
Des maisons !




Un maroufle,
Mis à neuf,
Joue et souffle
Comme un bœuf
Une marche
De Luzarche
Sur chaque arche
Du Pont-Neuf.


 Les frères Limbourg - Les très riches heures du duc de Berry


Le vieux Louvre ! –
Large et lourd,
Il ne s'ouvre
Qu'au grand jour,
Emprisonne
La couronne,
Et bourdonne
Dans sa tour.




Les frères Limbourg - les très riches heures du duc de Berry
Mai


Los aux dames !
Au roi Los !
Vois les flammes
Du champ clos,
Où la foule
Qui s'écroule,
Hurle et roule
A grands flots.



Edmund Blair Leighton - God Speed !


Sans attendre,
Çà, piquons !
L'œil bien tendre,
Attaquons
De nos selles
Les donzelles,
Roses, belles
Aux balcons.


Le coeur d'amour épris, 26 : 
 Le combat de Courroux et de Coeur, sous les yeux de Désir

 
Saulx-Tavane
Le ribaud
Se pavane,
Et Chabot
Qui ferraille,
Bossu, raille
Mons Fontraille
Le pied-bot.


John Everett Millais - Lorenzo and Isabella


Là-bas, Serge
Qui fit vœu
D'aller vierge
Au saint lieu ;
Là, Lothaire,
Duc sans terre ;
Sauveterre,
Diable et dieu.


Edward Burne-Jones - King Cophetua and the beggar maid


Le vidame
De Conflans
Suit sa dame
A pas lents,
Et plus d'une
S'importune
De la brune
Aux bras blancs.




Là-haut brille,
Sur ce mur,
Yseult, fille
Au front pur ;
Là-bas, seules,
Force aïeules
Portant gueules
Sur azur.


Edmund Blair Leighton - Alain Chartier


Dans la lice,
Vois encor
Berthe, Alice,
Léonor,
Dame Irène,
Ta marraine,
Et la reine
Toute en or.


Edward Burne-Jones - Laus Veneris


Dame Irène
Parle ainsi :
"Quoi ! la reine
Triste ici !"
Son altesse
Dit : "Comtesse,
J'ai tristesse
Et souci."




Emmanuel Chabrier - Le pas d'armes du Roi Jean
Stephen Varcoe (baryton), Graham Johnson (piano)
Mis en ligne par musicanth





On commence.
Le beffroi !
Coups de lance,
Cris d'effroi !
On se forge,
On s'égorge
Par saint-George !
Par le roi !





La cohue,
Flot de fer,
Frappe, hue,
Remplit l'air,
Et, profonde,
Tourne et gronde,
Comme une onde
Sur la mer.




Dans la plaine
Un éclair
Se promène
Vaste et clair ;
Quels mélanges !
Sang et franges !
Plaisirs d'anges !
Bruit d'enfer !




Sus, ma bête
De façon
Que je fête
Ce grison !
Je te baille
Pour ripaille
Plus de paille,
Plus de son,




Qu'un gros frère,
Gai, friand,
Ne peut faire,
Mendiant
Par les places
Où tu passes,
De grimaces
En priant !




Dans l'orage,
Lys courbé,
Un beau page
Est tombé.
Il se pâme,
Il rend l'âme ;
Il réclame
Un abbé.




La fanfare
Aux sons d'or,
Qui t'effare,
Sonne encor
Pour sa chute ;
Triste lutte
De la flûte
Et du cor !




Moines, vierges,
Porteront
De grands cierges
Sur son front ;
Et, dans l'ombre
Du lieu sombre,
Deux yeux d'ombre
Pleureront.




Car madame
Isabeau
Suit son âme
Au tombeau.
Que d'alarme !
Que de larmes !...
Un pas d'armes,
C'est très beau !


Antoon Van Dyck - Cavalier


Ça, mon frère,
Viens, rentrons
Dans notre aire
De barons.
Va plus vite,
Car au gîte
Qui t'invite,
Trouverons,




Toi, l'avoine
Du matin,
Moi, le moine
Augustin,
Ce saint homme
Suivant Rome,
Qui m'assomme
De latin,




Et rédige
En romain
Tout prodige
De ma main,
Qu'à ma charge
Il émarge
Sur un large
Parchemin.




Un vrai sire
Châtelain
Laisse écrire
Le vilain ;
Sa main digne,
Quand il signe,
Egratigne
Le vélin.


Victor Hugo - Odes et Ballades, ballade douzième
et les artistes cités, sans compter les anonymes enlumineurs de la Queste del Saint Graal et de Tristan de Léonois




J'avais entre dix et quinze ans, j'allais siffler là-haut sur la colline dans le collège-lycée-château-catho fondé par la pieuse Madame de Cintré en 1898. De Viris, Enéide, théorèmes, confession obligatoire, messe obligatoire, communion obligatoire, le Lagarde et Michard comme première concession à la modernité et l'odeur persistante de la morue du Vendredi. C'était comme le cœur du Vieux Pays, avec ses puanteurs et ses charmes. Car cela avait aussi son charme, une chaleur de famille pieuse, attentive, envahissante et névrosée.

Mais on lorgnait avec envie le lycée public - mixte, lui - tout neuf dans sa forêt. Une fois, un interne avait craqué, profanant une hostie consacrée - exclusion sans rémission, après enfermement dans la tourelle - en attendant que ses parents viennent le chercher, mes enfants, priez pour lui. Frémissements d'horreur, secrète fascination.

(Mais c'était dans des murs sous lesquels La Hire et Dunois taillèrent en pièces les Anglais de Warwick - maigres restes du château des Courtenay, qui furent un temps empereurs de Constantinople.)

C'est là que je rencontrai pour la première fois le Pas d'Armes, dans le coin de tour où se carrait notre classe de troisième (ou de seconde, je ne sais plus). Il fallait apprendre cent vers par cœur, et j'avais cherché les plus courts possibles : Hugo Victor, Odes et Ballades, Ballade douzième. Mauvais calcul, ce trisyllabe isomètre (tagada, c'est le pas du cheval) quand il vous tient, ne vous lâche pas.

Dans un passage de La Prisonnière, le narrateur de Proust évoque les nœuds de coïncidences organisées, intrigues mondaines, fêtes étranges et thés dansants qui concourent à la révélation d'un chef-d'œuvre inconnu comme le Septuor de Vinteuil. Puis, un peu plus loin, dans une discussion avec Brichot, il parle de la couleur des souvenirs qu'il n'y a que nous qui voyons dans ces précipités "maisons détruites, gens d’autrefois, compotiers de fruits des soupers que nous nous rappelons" - bref ce qui est la matière même de la Recherche. 

Mais juste avant, et tout de suite après avoir éprouvé sa petite épiphanie du Septuor, il cite la Ballade douzième, pas trop en bien : "si, en mourant, (Vinteuil) n’avait laissé – en exceptant certaines parties de la sonate – que ce qu’il avait pu terminer, ce qu’on eût connu de lui eût été, auprès de sa grandeur véritable, aussi peu de chose que pour Victor Hugo, par exemple, s’il était mort après le Pas d’Armes du roi Jean, la Fiancée du Timbalier et Sarah la baigneuse, sans avoir rien écrit de la Légende des siècles et des Contemplations : ce qui est pour nous son œuvre véritable fût resté purement virtuel, aussi inconnu que ces univers jusqu’auxquels notre perception n’atteint pas, dont nous n’aurons jamais une idée."

Maisons détruites, gens d’autrefois, compotiers de fruits des soupers que nous nous rappelons : la dernière fois que j'ai visité le château, il était devenu lycée professionnel hôtelier. La cuisine-école était installée dans l'ancienne chapelle. Λάβετε φάγετε, accipite et manducate, prenez et mangez, take, eat

(Remangez, en fait : ceci est un re-post légèrement modifié d'un message vieux d'il y a quatre ans et disparu depuis...)



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