30/06/2011

Société du spectacle : à fréquenter plus assidûment


Gino Severini - La danse du pan-pan au "Monico", 1911
Musée national d'Art Moderne, Paris
Source


"Je me mis alors à fréquenter plus assidûment les bals, ce qu'on appelle les "Boîtes de nuit" : le Moulin de la Galette, le Bal Tabarin, et plus tard dans la nuit, les restaurants nocturnes comme Royal Souper, Rat Mort, Monico, etc. Ces lieux sont chers, mais moi, en ma qualité de bon danseur, j'obtins très vite l'entrée libre partout et des traitements de faveur. C'est ainsi que commencèrent à voir le jour mes premiers dessins de danseuses; je voulais les faire autrement que Degas qui les représentait toujours de manière statique; je pensais justement que grâce aux ressources de la technique néo-impressionniste entendue au sens large, c'est-à-dire étendue à la forme, je pouvais atteindre des effets de mouvement jamais encore tentés et trouver ainsi un lyrisme plus grand" (1).

Le Pan-pan au "Monico", perdu ou détruit au cours de la deuxième mondiale, refait par l'artiste en 1959 à partir de reproductions, n'est pas à l'exposition Severini de l'Orangerie (jusqu'au 25 juillet). Mais on peut y voir la danseuse bleue et autres virevoltantes créatures comme celles-ci, futuristes puis cubistes, puis, hélas, retournées à l'ordre... Et un charmant portrait-collage de Paul Fort, le beau-papa.

Le Pan-pan figurait à l'exposition futuriste de 1912 à Paris, de même que...


Gino Severini - Le chat noir, 1910-1911 
Musée des Beaux-Arts du Canada - Source

...qui illustre le conte d'Edgar Poe. Et à quelques mois d'écart un autre style encore, dans la même liste d'établissements nocturnes que le Monico :


Gino severini - L'hiéroglyphe dynamique du bal Tabarin, 1912
The Evelyn and Walter Hass, Jr. Fund Gallery  - Source


Arrivé à Paris en 1906, en contact avec Fénéon grâce auquel il connaît le travail de Seurat et Signac, Severini évolue en une dizaine d'années du divisionnisme macchiaiolo au cubisme synthétique en passant par le futurisme, sans perdre le contact avec Marinetti avec lequel il entretient une correspondance. Certaines des œuvres exposées à l'Orangerie lui sont d'ailleurs dédiées en termes amicaux.

Car pendant quelques années c'est la même musique sur laquelle trépignent les danseuses de Severini, et que joue Marinetti, génial et maléfique flûtiste de Hamelin qui devait en entraîner tant d'autres, et qui l'écrit si bien, un an après l'exposition futuriste parisienne, dans le Manifeste du Music-hall

"Le futurisme glorifie le Music-hall parce que : 
1. Le Music-hall, conséquence de l'électricité, né en quelque sorte avec nous, n'a heureusement pas de traditions, pas de maîtres, pas de dogmes, et se nourrit d'actualité véloce.
2. Le Music-hall est absolument pratique, parce qu'il se propose de distraire et amuser le public par des effets de comique, d'excitation érotique ou d'étonnement imaginatif.
3. Les auteurs, acteurs et mécaniciens du Music-hall n'ont qu'une seule raison d'être et de triompher : celle d'inventer incessamment de nouveaux éléments de stupeur. D'où l'impossibilité absolue de s'arrêter et de se répéter, l'émulation acharnée de cerveaux et de muscles pour battre les différents records d'agilité, de vitesse, de force, de complication et d'élégance (...)
...7. Le Music-hall est le plus hygiénique de tous les spectacles, par son dynamisme de forme et de couleur (mouvement simultané de jongleurs, danseuses, gymnastes, écuyers multicolores, cyclons spiraliques de danseurs dressés sur les pointes). Par son rythme dansant, accéléré et entraînant, il tire de force les âmes les plus lentes de leur torpeur et leur impose de courir.
8. Le Music-hall est le seul théâtre qui utilise la collaboration du public. Celui-ci n'y demeure pas statique comme un stupide voyeur, mais participe bruyamment à l'action, chantant lui-même, accompagnant l'orchestre, soulignant les acteurs par des boutades imprévues et des dialogues bizarres. Les acteurs eux-mêmes discutent drôlatiquement avec les musiciens. Le Music-hall utilise la fumée des cigares et cigarettes pour fondre l'atmosphère du public avec celle de la scène. Le public collaborant ainsi avec la fantaisie des acteurs, l'action se passe à la fois sur la scène, dans les loges et dans le parterre. Elle continue même à la fin du spectacle, entre les bataillons d'admirateurs rangés, smokings gommeux monoclés, qui se disputent l'étoile pour la double victoire finale : souper chic et lit.  (...)

 ...réveil fulgurant des rues qui canalisent durant le jour le grouillement fumeux du travail    2 chevaux (30 m. de haut) faire rouler sous leurs sabots
boules d'or    GIOCONDA ACQUA PURGATIVA ITALIANA
entrecroisement de trrrr trrrrr Elevated trrrrr trrrrr au-dessus de la tête teeeeee teeeeee siiiiiiflets sirènes d'auto-ambulances + pompes électriques
transformation des rues en corridors splendides mener pousser logique nécessité la foule vers trépidation + hilarité + brouhaha du Music-hall
FOLIES-BERGERE EMPIRE CREME-ECLIPSE tubes de mercure rouges rouges rouges bleus bleus bleus violets énormes lettres-anguilles d'or feu pourpre diamant défi futuriste à la nuit pleurnicheuse défaite des étoiles chaleur enthousiasme foi conviction volonté pénétration d'une affiche lumineuse dans la maison d'en face gifles jaunes à ce podagreux en pantoufles bibliophiles qui sommeille 3 miroirs le regardeeer l'affiche plonger dans les 3 abîmes mordorés ouvrir fermer ouvrir fermer des profondeurs de 3 milliards de kilomètres    horreur    sortir sortir
ouste chapeau canne escalier auto tamponner cris-de-cochon keueu-keu ça y est éblouissement du promenoir solennité des panthères-cocottes parmi les tropiques de la musique légère odeur ronde et chaude de la gaîté Music-hall = ventilateur infatigable pour le cerveau surchauffé du monde
" (2).




Et tant qu'à faire, puisque Severini en parle - au passage, c'était , le Rat-mort.



(1) Autobiographie de Gino Severini, citée par Giovanni Jopolo, L'audace, l'effort, in Dominique Berthet, L'audace en art, 2005, p. 87.

(2) Filippo Tommaso Marinetti, Le Manifeste du Music-hall futuriste, 1913, texte complet ici (y compris les inévitables hululements marinettiens en l'honneur de l'instinct rapace du mâle...)



Et pendant ce temps-là...

29/06/2011

L'art de la fenêtre : Crepax


Guido Crepax - 4ème de couverture pour Charlie mensuel, Déc. 1972
Via 50watts

28/06/2011

A deux passantes


Igor Zotine, Boris Kavachtchkine - Красные косынки / Fichus rouges, La photo soviétique, n°11 1981 
Source : Советское Фото Daily  Via  The Ship That Flew



Romualdas Rakauskas - Молодость/Jeunesse, La photo soviétique, n°12 1977
Source : Советское Фото Daily

27/06/2011

Transports en commun : Badham, encore

Herbert Badham - The night bus
National Gallery of Victoria
Source



En 1932-33, l'Australie connaît les pleins effets de la crise, avec un taux de chômage de 25%, voire plus selon les régions. Les banques anglaises créditrices veulent imposer un plan déflationniste (coupes budgétaires sévères, hausses d'impôts, baisse des salaires et des pensions). La situation entraîne une scission de fait du Labour Party (ALP) au pouvoir, le premier ministre ALP de Nouvelle Galles du Sud, Jack Lang, décidant de ne pas rembourser les intérêts dus aux banques prêteuses, et retirant les fonds de son Etat des comptes bancaires fédéraux. S'ensuit une épreuve de force qui s'arrête au bord de l'affrontement, l'armée fédérale étant mise brièvement en état d'alerte quand Lang est démis de ses fonctions par le gouverneur royal. 

C'était 1932 en Australie, the turbulent year - toute ressemblance avec des situations aujourd'hui vécues ou à prévoir dans certains pays européens ne pourrait être due qu'aux aventures cycliques du Capital. Dix ans plus tard (1) à Sydney, le peintre australien Herbert Badham peignait son Bus de nuit tanguant.


(1) Ou peut-être un an seulement, les datations sont contradictoires : ca 1943 selon la NGV, ca 1933 selon d'autres sources. La présence du militaire à la quatrième rangée plaide en faveur de 1943. Et pour ce raccourci entre Night bus et année turbulente, seuls les chats sont à blâmer.

26/06/2011

L'art du petit déjeuner : Badham

Herbert Badham - Breakfast piece, 1936
Art Gallery of New South Wales


Badham (1898-1961) est un peintre réaliste australien qui se tournera vers l'abstraction après la seconde guerre mondiale, suivant ainsi un mouvement assez général. Ses toiles des années 30-40 montrent des scènes de la vie quotidienne à Sydney. Parfois un indice y marque la présence discrète mais obsédante de la guerre ou de sa menace. Ici le journal au premier plan date précisément la scène de la prise de Makalle et Aksum, en Ethiopie, par les troupes italiennes en octobre-novembre 1935. Le modèle est la femme de l'artiste.

25/06/2011

Transports en commun : Guglielmi

Osvaldo Louis Guglielmi - Subway Exit, 1946

24/06/2011

L'art au travail : la qualité

Eric Castel - En travaillant en Allemagne tu seras l'ambassadeur de la qualité française, affiche, 1943

23/06/2011

La réputation de monsieur Shosuke Ohara en vaut bien d'autres




Ensemble Sakura - Aizu Bandaï-san
Mis en ligne par tomohikomatsumiya

L'ensemble Sakura est un groupe de musique Minyō. Mardi soir près de chez les chats, il chantait cette chanson de Fukushima, pour la fête de la musique.

Le terme Minyō (民謡 est, selon Saint Wiki, la traduction japonaise de Volkslied) désigne les chants populaires traditionnels japonais, généralement des chants de travail de paysans et de pêcheurs. C'est un répertoire tout à fait distinct du ou de la musique raffinée (Gagaku) - ce qui ne veut pas dire, loin de là,  que le minyō ne soit pas sophistiqué, ni d'interprétation difficile.  

Aizu Bandaï-san (会津磐梯山) est donc un chant minyō de la région d'Aizu, partie occidentale de la préfecture de Fukushima, aujourd'hui connue de tous pour son plus grand malheur. Il est chanté à la mi-août pour O-Bon, fête des morts - comme en Chine le septième mois lunaire est le mois des fantômes, période où les défunts peuvent revenir parmi les vivants. 

Le chant célèbre le mont Bandaï, le volcan local...


 Le Bandaï-san
photo par danaspencer le 23/08/06, sur Flickr, licence CC


...qui s'est partiellement effondré lors de sa dernière éruption en 1888, ravageant toute la région - on estime qu'un kilomètre cube et demi de cratère s'est détaché pour s'étaler vers le nord, faisant disparaître plusieurs villages.


Tankei Inoue - Éruption du Mont Bandaï, 1888


Voici un essai de traduction (sans aucune garantie et via l'anglais) du chant :

Aizu Bandaï-san est une montagne aux trésors où les sasa (herbes ressemblant à des feuilles de bambou) poussent à profusion.

Choisa choisa !
(encouragement festif)

Des lettres viennent de Higashiyama
(célèbres sources chaudes de la région d'Aizu) chaque jour. Je dois y aller pour rendre visite.

Chaque fois qu'on entend le son du Yakuradaigo
(sorte de grand tambour), cela nous réveille et nous remplit d'allégresse.

Comment monsieur Shosuke Ohara a-t-il ruiné sa réputation? Il aime vraiment dormir toute la matinée, boire toute la matinée, passer toutes ses matinées dans les sources chaudes, voilà comment il a ruiné sa réputation. Bien sûr !


Monsieur Shosuke Ohara, sympathique personnage du folklore, personnifie la nonchalance. Il est représenté par des poupées kokeshi...




...dans son bain bien chaud avec sa coupe de saké à portée de main. Il fait aussi le titre d'un film d'Hiroshi Shimizu, Ohara Shosuke-san (1949).


Alors, à la mi-août, vous aurez une pensée pour le fantôme de monsieur Shosuke Ohara. Quand il reviendra boire un coup de saké au spa, il jettera un coup d'œil vers la côte, là-bas vers l'est, où bouillonnent des sources d'une tout autre chaleur : le mont Bandaï est à 85 kilomètres de la centrale de Fukushima Daï-Ichi. Mais les fantômes n'ont pas besoin de dosimètres. Et les paresseux n'ont jamais fait de mal à personne, eux.


Voir le site de l'ensemble Sakura. 
Trouver son CD.

19/06/2011

L'art du balai : Stinson


Henry Stinson - "It's Five O'Clock Somewhere"
Source





Et pendant ce temps-là...
...un petit rappel du Bechdel Test

17/06/2011

Les gorges de Paris





À la poste d’hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles.




Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t’en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.




La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles




pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles ! 




C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
Ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire





de la machinerie étrange du bonjour.

Adieu ! Je vous aimai sans scrupule et sans ruse,





ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour. 






Robert Desnos - Les gorges froides, 1926


16/06/2011

L'art du petit déjeuner (et du réveil) : Sequens/Alex


Marie Sequens - Morning Blend
Via still life quick heart


Mis en ligne par playbacklapompe sur Youtube
via Ali-Fredo sur Dailymotion, après suppression sur Youtube

15/06/2011

L'art de la lecture : le bar du coin

Alexandre Auguste Hannotiau - La lecture au café

14/06/2011

Brillez lanternes de papier : Gatherer

Stuart Luke Gatherer - Signals from Parliament Hill, 2009
Source







Et pendant ce temps-là...
...avec deux jours d'avance,

12/06/2011

Duos : Nadelman

Elie Nadelman - Tango, ca 1918
Whitney Museum via amare-habeo



Et pendant ce temps-là...
...les acampadas de Barcelone, Plaça Catalunya, dessinées par Lapin et par Sagar...
...Larry Portis a quitté les Cévennes

09/06/2011

Le Pas d'armes du roi Jean


"Plus de six cents lances y furent brisées ; on se battit à pied et à cheval, à la barrière, à coups d'épée et de pique, où partout les tenants et les assaillants ne firent rien qui ne répondît à la haute estime qu'ils s'étaient déjà acquise ; ce qui fit éclater ces tournois doublement. Enfin, au dernier, un gentilhomme nommé de Fontaines, beau-frère de Chandiou, grand prévôt des maréchaux, fut blessé à mort ; et au second encore, Saint-Aubin, autre gentilhomme, fut tué d'un coup de lance."

ANCIENNE CHRONIQUE.




Ça, qu'on selle,
Écuyer,
Mon fidèle
Destrier.
Mon cœur ploie
Sous la joie,
Quand je broie
L'étrier.





Par saint-Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan;
Viens, écoute,
Par la route,
Voir la joute
Du roi Jean.




Camille Saint-Saëns - Le pas d'arme du Roi Jean - Didier Henry, baryton
Mis en ligne par operazaile





Qu'un gros carme
Chartrier
Ait pour arme
L'encrier;
Qu'une fille,
Sous la grille,
S'égosille
A prier;





Nous qui sommes,
De par Dieu,
Gentilshommes
De haut lieu,
Il faut faire
Bruit sur terre,
Et la guerre
N'est qu'un jeu.



Arnold Böcklin - Der Abenteurer, 1882
Source : Wikimedia Commons


Ma vieille âme
Enrageait;
Car ma lame,
Que rongeait
Cette rouille
Qui la souille,
En quenouille
Se changeait.


Jean Fouquet - Grandes chroniques de France
Dagobert Ier réfugié à Saint-Denis, détail


Cette ville,
Aux longs cris,
Qui profile
Son front gris,
Des toits frêles,
Cent tourelles,
Clochers grêles,
C'est Paris !


Jean Fouquet - Grandes chroniques de France
Entrée de l'empereur Charles IV à Saint-Denis


Quelle foule,
Par mon sceau !
Qui s'écoule
En ruisseau,
Et se rue,
Incongrue,
Par la rue
Saint-Marceau.


Jean Fouquet - Heures d'Etienne Chevalier
La descente du Saint-Esprit


Notre-Dame !
Que c'est beau !
Sur mon âme
De corbeau,
Voudrais être
Clerc ou prêtre
Pour y mettre
Mon tombeau !


Bible d'Olomouc


Les quadrilles,
Les chansons
Mêlent filles
Aux garçons.
Quelles fêtes !
Que de têtes
Sur les faites
Des maisons !




Un maroufle,
Mis à neuf,
Joue et souffle
Comme un bœuf
Une marche
De Luzarche
Sur chaque arche
Du Pont-Neuf.


 Les frères Limbourg - Les très riches heures du duc de Berry


Le vieux Louvre ! –
Large et lourd,
Il ne s'ouvre
Qu'au grand jour,
Emprisonne
La couronne,
Et bourdonne
Dans sa tour.




Les frères Limbourg - les très riches heures du duc de Berry
Mai


Los aux dames !
Au roi Los !
Vois les flammes
Du champ clos,
Où la foule
Qui s'écroule,
Hurle et roule
A grands flots.



Edmund Blair Leighton - God Speed !


Sans attendre,
Çà, piquons !
L'œil bien tendre,
Attaquons
De nos selles
Les donzelles,
Roses, belles
Aux balcons.


Le coeur d'amour épris, 26 : 
 Le combat de Courroux et de Coeur, sous les yeux de Désir

 
Saulx-Tavane
Le ribaud
Se pavane,
Et Chabot
Qui ferraille,
Bossu, raille
Mons Fontraille
Le pied-bot.


John Everett Millais - Lorenzo and Isabella


Là-bas, Serge
Qui fit vœu
D'aller vierge
Au saint lieu ;
Là, Lothaire,
Duc sans terre ;
Sauveterre,
Diable et dieu.


Edward Burne-Jones - King Cophetua and the beggar maid


Le vidame
De Conflans
Suit sa dame
A pas lents,
Et plus d'une
S'importune
De la brune
Aux bras blancs.




Là-haut brille,
Sur ce mur,
Yseult, fille
Au front pur ;
Là-bas, seules,
Force aïeules
Portant gueules
Sur azur.


Edmund Blair Leighton - Alain Chartier


Dans la lice,
Vois encor
Berthe, Alice,
Léonor,
Dame Irène,
Ta marraine,
Et la reine
Toute en or.


Edward Burne-Jones - Laus Veneris


Dame Irène
Parle ainsi :
"Quoi ! la reine
Triste ici !"
Son altesse
Dit : "Comtesse,
J'ai tristesse
Et souci."




Emmanuel Chabrier - Le pas d'armes du Roi Jean
Stephen Varcoe (baryton), Graham Johnson (piano)
Mis en ligne par musicanth





On commence.
Le beffroi !
Coups de lance,
Cris d'effroi !
On se forge,
On s'égorge
Par saint-George !
Par le roi !





La cohue,
Flot de fer,
Frappe, hue,
Remplit l'air,
Et, profonde,
Tourne et gronde,
Comme une onde
Sur la mer.




Dans la plaine
Un éclair
Se promène
Vaste et clair ;
Quels mélanges !
Sang et franges !
Plaisirs d'anges !
Bruit d'enfer !




Sus, ma bête
De façon
Que je fête
Ce grison !
Je te baille
Pour ripaille
Plus de paille,
Plus de son,




Qu'un gros frère,
Gai, friand,
Ne peut faire,
Mendiant
Par les places
Où tu passes,
De grimaces
En priant !




Dans l'orage,
Lys courbé,
Un beau page
Est tombé.
Il se pâme,
Il rend l'âme ;
Il réclame
Un abbé.




La fanfare
Aux sons d'or,
Qui t'effare,
Sonne encor
Pour sa chute ;
Triste lutte
De la flûte
Et du cor !




Moines, vierges,
Porteront
De grands cierges
Sur son front ;
Et, dans l'ombre
Du lieu sombre,
Deux yeux d'ombre
Pleureront.




Car madame
Isabeau
Suit son âme
Au tombeau.
Que d'alarme !
Que de larmes !...
Un pas d'armes,
C'est très beau !


Antoon Van Dyck - Cavalier


Ça, mon frère,
Viens, rentrons
Dans notre aire
De barons.
Va plus vite,
Car au gîte
Qui t'invite,
Trouverons,




Toi, l'avoine
Du matin,
Moi, le moine
Augustin,
Ce saint homme
Suivant Rome,
Qui m'assomme
De latin,




Et rédige
En romain
Tout prodige
De ma main,
Qu'à ma charge
Il émarge
Sur un large
Parchemin.




Un vrai sire
Châtelain
Laisse écrire
Le vilain ;
Sa main digne,
Quand il signe,
Egratigne
Le vélin.


Victor Hugo - Odes et Ballades, ballade douzième
et les artistes cités, sans compter les anonymes enlumineurs de la Queste del Saint Graal et de Tristan de Léonois




J'avais entre dix et quinze ans, j'allais siffler là-haut sur la colline dans le collège-lycée-château-catho fondé par la pieuse Madame de Cintré en 1898. De Viris, Enéide, théorèmes, confession obligatoire, messe obligatoire, communion obligatoire, le Lagarde et Michard comme première concession à la modernité et l'odeur persistante de la morue du Vendredi. C'était comme le cœur du Vieux Pays, avec ses puanteurs et ses charmes. Car cela avait aussi son charme, une chaleur de famille pieuse, attentive, envahissante et névrosée.

Mais on lorgnait avec envie le lycée public - mixte, lui - tout neuf dans sa forêt. Une fois, un interne avait craqué, profanant une hostie consacrée - exclusion sans rémission, après enfermement dans la tourelle - en attendant que ses parents viennent le chercher, mes enfants, priez pour lui. Frémissements d'horreur, secrète fascination.

(Mais c'était dans des murs sous lesquels La Hire et Dunois taillèrent en pièces les Anglais de Warwick - maigres restes du château des Courtenay, qui furent un temps empereurs de Constantinople.)

C'est là que je rencontrai pour la première fois le Pas d'Armes, dans le coin de tour où se carrait notre classe de troisième (ou de seconde, je ne sais plus). Il fallait apprendre cent vers par cœur, et j'avais cherché les plus courts possibles : Hugo Victor, Odes et Ballades, Ballade douzième. Mauvais calcul, ce trisyllabe isomètre (tagada, c'est le pas du cheval) quand il vous tient, ne vous lâche pas.

Dans un passage de La Prisonnière, le narrateur de Proust évoque les nœuds de coïncidences organisées, intrigues mondaines, fêtes étranges et thés dansants qui concourent à la révélation d'un chef-d'œuvre inconnu comme le Septuor de Vinteuil. Puis, un peu plus loin, dans une discussion avec Brichot, il parle de la couleur des souvenirs qu'il n'y a que nous qui voyons dans ces précipités "maisons détruites, gens d’autrefois, compotiers de fruits des soupers que nous nous rappelons" - bref ce qui est la matière même de la Recherche. 

Mais juste avant, et tout de suite après avoir éprouvé sa petite épiphanie du Septuor, il cite la Ballade douzième, pas trop en bien : "si, en mourant, (Vinteuil) n’avait laissé – en exceptant certaines parties de la sonate – que ce qu’il avait pu terminer, ce qu’on eût connu de lui eût été, auprès de sa grandeur véritable, aussi peu de chose que pour Victor Hugo, par exemple, s’il était mort après le Pas d’Armes du roi Jean, la Fiancée du Timbalier et Sarah la baigneuse, sans avoir rien écrit de la Légende des siècles et des Contemplations : ce qui est pour nous son œuvre véritable fût resté purement virtuel, aussi inconnu que ces univers jusqu’auxquels notre perception n’atteint pas, dont nous n’aurons jamais une idée."

Maisons détruites, gens d’autrefois, compotiers de fruits des soupers que nous nous rappelons : la dernière fois que j'ai visité le château, il était devenu lycée professionnel hôtelier. La cuisine-école était installée dans l'ancienne chapelle. Λάβετε φάγετε, accipite et manducate, prenez et mangez, take, eat

(Remangez, en fait : ceci est un re-post légèrement modifié d'un message vieux d'il y a quatre ans et disparu depuis...)