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Trente mille manifestants, quatorze mille interpellations, plusieurs dizaines, voire centaines de morts (1). Et je me souviens d'Elie Kagan, et d'Alexis Violet.
Elie Kagan est l'un des deux seuls photographes (2) à avoir gravé sur la pellicule ce qui s'est passé dans la nuit du 17 Octobre 1961.
"Kagan prévenu par téléphone s'est rendu au métro Solférino : des centaines d'Algériens parqués les bras en l'air attendent d'être embarqués. Il descend dans le métro Concorde, prend quelques clichés à la sauvette et remonte avant d'être repéré. Il jette la pelicule du haut du pont dans un tas de gravats. Il la récupérera plus tard. Caché dans un urinoir, il entend les policiers qui passent tout près, crier : "Ca barde au pont de Neuilly." Juché sur sa Vespa, il se précipite. Des autobus réquisitionnés stationnent là, bourrés d'Algériens. On entend des coups de feu qui trouent la nuit du côté de la banlieue. Kagan continue vers Nanterre. Au bord de la route, il entend des gémissements. Un blessé gît dans une mare de sang. A côté, affalé sur un muret, un cadavre.
Kagan emmène le blessé à l'hôpital de Nanterre. L'infirmier de garde l'accueille :
- Et un raton, un." (3)
C'est Jean-Michel Mension, dit Alexis Violet, qui a tracé le graffiti "ici on noie les Algériens" sur le parapet du quai des Orfèvres, avec trois de ses camarades du Comité pour la paix en Algérie du quartier Seine-Buci, quelques jours après le massacre.
"Nous descendîmes à deux sur la berge, juste en-dessous du quai des Orfèvres, pour badigeonner notre slogan. Les deux autres faisaient le guet au bout du pont. Nous n'en retrouvâmes qu'un en remontant, l'autre s'était perdu, dit-il... Puis nous badigeonnâmes de nouveau le parapet sur la rue, en haut du quai. Le coup réussi, chacun rentra chez soi... Au petit jour, je vais admirer notre oeuvre. L'inscription sous le quai des Orfèvres a déjà été recouverte, reste celle des quais. C'est seulement à ce moment-là que je me rends compte. Si les flics nous avaient piqués, nous aurions pu nous retrouver à la baille..." (4)
Elie Kagan est mort le 25 janvier 1999, et Jean-Michel Mension le 6 Mai 2006.
(1) Entre 30 et 50 selon l'estimation la plus basse (Jean-Paul Brunet, Police contre FLN, Flammarion 1999), plus de 300 selon la plus haute (Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961, un massacre à Paris, Fayard, 2001). Pour une discussion de ces chiffes, voir Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961, les Algériens, la terreur d'Etat et la mémoire, Tallandier, 2008, ch. 6, "compter les morts, identifier les meurtriers".
(2) L'autre est Georges Azenstarck, photographe à l'Humanité, qui se trouvait ce soir là sur les grands boulevards. Selon son témoignage recueilli par Thérèse Blondet-Bich (Le 17 octobre 1961, un crime d'Etat à Paris, La dispute éd., 2001, p. 169) les négatifs de ses photos ont disparu, "égarés" dans les archives du journal.
(3) Elie Kagan et Patrick Rotman, Le reporter engagé, trente ans d'instantanés, Métailié éd., 1989, p.30.
(4) Jean-Michel Mension, Le temps gage, Noésis éd., 2001, pp. 208-211.
Quand on clique sur la flèche au centre de la vidéo, un message annonce qu'elle n'est plus disponible car le compte est clôturé. J'ai cliqué sur le nom du compte et on y accède. Peut-être vérifier le lien vers la vidéo.
RépondreSupprimerCorrigé, merci Patricia
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