Je me souviens de m'être retrouvé un peu plus tard en bas du boulevard, dans la fumée des lacrymogènes, et de m'être réfugié chez Maspéro pour pouvoir respirer. Le gros des combattants était repoussé plus haut vers le Luxembourg, où s'érigeait une petite barricade. D'ailleurs à l'heure où je sortais de la bibliothèque l'essentiel s'était déjà produit.
Les militants présents s'étant fait pacifiquement coffrer dans la cour de la Sorbonne, l'émeute s'était déclenchée en l'absence de tous meneurs - et parce qu'ils n'étaient pas là pour la contrôler - prenant la police à revers avec une violence à laquelle elle n'était pas habituée. Des étudiants, des lycéens, mais aussi des salariés, des passants, des loulous qui sortaient du Roméo club, la foule complice, l'émeute urbaine spontanée qui n'attendait que le point d'ébullition. "Un camionneur arrête sa machine, en descend calmement, sort un cric, puis la manivelle. La faisant tournoyer de terrifiante façon il disperse à lui seul un groupe de gardes mobiles. Et il repart" (1)... Vers 18 heures, un manifestant lance un pavé sur un car de police et atteint en pleine tête un brigadier qui est transféré dans le coma à l'hôpîtal Lariboisière, où il se réveillera hémiplégique (2). La nouvelle fait vite le tour des unités de la police parisienne. Leur attitude vis-à-vis des manifestants, voire des simples passants, va immédiatement s'en ressentir, comme on dit.
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Peu d'objets historiques plus fascinants que l'émeute urbaine. Vous opérez tranquillement mille contrôles de police - au mille-et-unième, tout explose, pourquoi ?
Le 3 mai, ce qui se déroule dans la cour du Buffet, c'est un meeting de soutien aux étudiants de Nanterre traduits devant le Conseil de discipline de l'Université de Paris. La réunion est appelée par l'UNEF et le SNE-Sup, dans l'indifférence générale - quatre cents personnes au plus y participent, dont la moitié de Nanterrois et les usual suspects, militants quasi-professionnels de la Chkreuh et de la Chmeul qui s'attendent à un raid d'Occident, lequel n'aura même pas lieu. Les services d'ordre se comportent comme d'habitude quand ils s'ennuient, ils agitent barres de fer et pieds de chaise comme dans les prologues des batailles homériques. Un bureaucrate du Buffet s'affole et alerte le recteur, qui se couvre auprès du ministre de l'éducation, qui donne le feu vert pour appeler la police. Personne ne réfléchit - première condition de l'émeute, l'automaticité des réactions de contrôle.
La seconde condition est plutôt d'ordre psychogéographique. Côté psycho, dans ces grandioses années soixante l'aula universitaire est à peu près le seul endroit où on peut l'ouvrir librement, son investissement policier constitue la provocation ultime. Le même geste déclenchera les mêmes réactions, ces années-là, de Berkeley à Milan. Côté géographie, le Buffet est un piège. Une fois intallés rue de la Sorbonne en groupes massifs et statiques - genre phalange macédonienne - les gardes mobiles et les PP se transforment en cible des émeutiers du boulevard Saint-Michel.
Pour les responsables du maintien de l'ordre, le boulevard parisien va se révéler un champ de bataille paradoxal. Le baron Haussmann l'a conçu pour faciliter les tirs d'artillerie, les feux de peloton et les charges de cavalerie, tous moyens hors de portée d'un préfet de police en 1968. Des effectifs en nombre suffisant peuvent y pourchasser sans peine une manifestation sans défense - les victimes algériennes du 17 octobre 1961 en ont fait l'expérience. Mais on ne balaie pas si facilement de ces larges avenues une foule combative dont une partie est décidée voire rompue au combat de rue. Au soir du 3 mai la police parisienne compte 72 blessés dans ses rangs, 596 personnes ont été interpellées. Six présumés émeutiers passent en flagrant délit le matin du 5, quatre d'entre eux écopent de peines de prison ferme. La veille, sept Nanterrois ont reçu des peines avec sursis.
Le 6 Mai, huit étudiants de Nanterre doivent passer en Conseil de discipline, ils risquent l'exclusion de l'Université. La manifestation suit un long parcours depuis le Luxembourg, l'Odéon, le boulevard Raspail, la rue de Rennes, les quais, le Petit Pont et l'île de la Cité, de nouveau le quartier latin et une tentative de percée par la rue Saint-Jacques, vers le Buffet. Puis le boulevard Saint-Germain.
Je me souviens du boulevard Saint-Germain le 6 Mai, de Maubert et surtout de Saint-Germain-des-prés, des charges et des contre-charges - la police qui reculait pour la première fois, mais qui revenait, bien sûr - d'explosions bien plus fortes que celles des lacrymos habituelles, et de ces ondes de peur qui éparpillent la foule en un instant.
Je me souviens de fuites interminables, comme si j'avais couru durant tout ce mois-là - et je m'en souviens encore parfois en rêve - de rues transversales, de cours d'immeubles qui étaient des pièges, et d'escaliers qui ne menaient nulle part sauf à des recoins d'où on guettait le bruit des godillots.
Enfants voici les boeufs qui passent
cachez vos rouges tabliers.
Le 6 Mai est le jour le plus noir pour la police, qui a 487 blessés. On en compte en tout plus de huit cents officiellement, sûrement plus en réalité. Il y a 482 interpellations, dix-sept inculpés dont les métiers sont éloquents : artiste-peintre, maître-ouvrier, cuisinier, barman, tourneur, infirmier, massicotier, cheminot... autant pour l'émeute étudiante.
Et je me souviens de ne pas m'être fait prendre une seule fois en Mai - après, oui, et plutôt deux fois qu'une, mais en Mai j'étais encore électron libre, l'autonomie vous confère, entre autres avantages, celui de la mobilité. Je ne rejoignis un groupe qu'un peu plus tard, le comportement des militants n'incitait guère à leur faire confiance. La totalité des maoïstes et la plupart des trotskystes (la Chkreuh mise à part, dont le service d'ordre était revenu dans l'action le 6) avaient raté ou saboté les débuts du mouvement. Et pour tout dire j'étais toujours en proie à d'abstraites fureurs.
Je me souviens que le 9 Mai j'écoutais Cohn-Bendit ridiculiser Aragon au mégaphone. On peut penser tout le mal qu'on veut d'Aragon, il faisait ce jour-là preuve de bien plus de courage que son interlocuteur (4).
Je me souviens que, las de tourner en rond dans le Quartier latin, je partis deux jours dans le Nord rassurer mes parents qui disjonctaient un peu. Erreur.
Le 10 Mai, nuit dite des barricades.
Je me souviens d'avoir suivi les événements à la radio, dans une cuisine de la banlieue de Lille. Et puis d'être revenu, les trains fonctionnaient encore.
Je me souviens du fameux piano dans la cour du Buffet.
Je me souviens du comité d'action philo-Sorbonne, ou de quelque chose qui y ressemblait, dans une salle du premier étage escalier C, comme il se doit. Il n'y avait pas que des étudiants, quelques assistants de Jankélévitch, et S. que j'avais eu comme prof à l'hôtellerie - il avait passé sa thèse et pouvait enfin s'intéresser à d'autres auteurs que Husserl. Le soir, il balayait la salle.
Je me souviens d'être entré au hasard dans une salle et qu'il y avait Kostas Axelos assis sur une table. Il parlait de la technique, avec un calme olympien au milieu des allées et venues. Je me souviens qu'il avait exactement le même langage et le même comportement que la Sorbonne soit occupée ou non, et qu'on l'écoutait de la même façon.
Je me souviens d'interminables réunions de commissions sur la réforme de l'enseignement de la philosophie. C'était ennuyeux comme la pluie.
Je me souviens de l'odeur des bâtiments occupés depuis plusieurs semaines, un mélange indescriptible de crasse, de fièvre et de tabac. L'odeur de la crise. S'y ajoutaient les relents d'hôpital à l'étage de Censier qui servait d'infirmerie parallèle.
Je me souviens que le Buffet était vite devenu une espèce de bateau ivre, ingouvernable mis à part quelques secteurs soigneusement gardés. Et que l'essentiel de l'activité organisée avait fini par migrer dans d'autres bâtiments universitaires, à Censier, rue des Saints-Pères...
Je me souviens du 13 mai, de huit cent mille personnes dans Paris, et de cette sensation d'être porté par le vent.
Je me souviens que Gaston Defferre, maire socialiste de Marseille, futur ministre de l'intérieur, avait aidé ce jour-là les manifestants à coller la banderole CRSS=SS sur la façade de son hôtel de ville.
Je me souviens des grévistes de Citroën-Javel.
C'est étrange, la vision de 68 qu'ont les gens de nos jours. On leur a tellement seriné que c'était un événement socio-culturel, limite hippie, flower power, libération sexuelle... toutes choses qui ont finalement aussi peu de rapport avec le 68 français qu'un combi Volkswagen avec un car de CRS. Ou alors ils ne retiennent que les images de manifs violentes qu'on leur ressasse à la télé (3). Le 68 français c'est une semaine d'émeute urbaine (du 3 au 10 mai) qui se transforme en grève générale politique d'un mois, du 18 mai, consigne confédérale de grève illimitée, jusqu'au 18 juin, date de la reprise à Renault-Billancourt - sachant que les premiers se mettent en grève le 14 mai (usine Claas de Woippy le matin, Sud-aviation à Bouguenais le soir) et que le dernier carré sera celui des ardoisiers de Fumay (Ardennes) qui ne reprennent le travail que le 16 Juillet...
Et à partir du 13 mai les émeutes urbaines, comme celles du 22 au 24, certes massives, ne sont plus au centre du tableau. Restant sans issue, elles deviennent même contre-productives, entraînant un divorce entre le mouvement et une partie de la population jusqu'alors sympathisante ou neutre.
Grève politique, cela va évidemment à l'encontre de l'historiographie officielle du PCF d'après Mai, et de celle de l'événement socio-culturel. Pourtant...
Je me souviens de mots d'ordre qui étaient très clairs dans les manifestations, et encore plus clairs dans les têtes.
A chaque coup ça marche. La commémorations à répétition de 68-événement-socio-culturel cache opportunément l'anniversaire conjoint de 58-coup-d'état-militaire. Pourtant en 68 jeunes et vieux avaient un souvenir assez net du 13 mai, et de ce qu'il révélait du régime en place, issu du coup de force, accepté par défaut, instable derrière son imposante façade, peut-être transitoire. Le sogan le plus oublié de 68 c'est "10 ans ça suffit", et pour cause.
Le 27 mai Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, présente les accords de Grenelle (5) à l'A.G. des grévistes de Billancourt. Il se fait siffler. Il continue. Il se fait huer. Il dit "Si j'en juge par ce que j'entends, vous ne vous laisserez pas faire" et la foule répond en criant "Gouvernement populaire". Autant pour les revendications économiques, de la part de ces gens qui avaient du mal à joindre les deux bouts et refusaient 10% d'augmentation. Ils étaient comme nous tous à ce moment-là, ils voulaient que Napoléon IV s'en aille avec son arrière-ban, ça paraissait possible et on verrait ensuite.
Je me souviens que j'avais dix ans quand un matin ma mère m'a réveillé en me disant simplement "l'armée a pris le pouvoir à Alger".
Je me souviens du désarroi des adultes, palpable même pour moi, en ces jours de 1958. La peur que ressentent les grandes personnes, les enfants la lisent à livre ouvert. Et je me souviens de leur bizarre soulagement quelques jours plus tard.
Je me souviens d'avoir longtemps gardé, dans un coin de ma tête, une question que j'avais du mal à formuler. Quel est donc cet animal qui sort armé d'un bois, un jour, et qui prend le pouvoir ? Et est-ce qu'il l'a gardé ? La réponse n'était pas claire. Simplement, tout le monde s'était mis à voter pour Napoléon IV.
Je me souviens d'avoir eu la réponse à ma question, en même temps que toute ma génération, entre le 27 et le 30 mai 1968.
Le 27 mai les ouvriers de Renault fichent par terre tout le patient travail de Georges Pompidou, Edouard Balladur et Jacques Chirac, hommes d'avenir qui avaient préparé les accords de Grenelle. Le gouvernement est suspendu à l'attitude que prendra le PCF.
Le 28 Mai il y a 9 millions de grévistes.
Le 29, Maurice Grimaud, préfet de police, après avoir rencontré Gérard Monate, secrétaire du syndicat des policiers, écrit une lettre à l'ensemble de ses personnels: "frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu'ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés" (6).
Le 30, les télétypistes du ministère de l'intérieur et les employés des transmissions de certaines préfectures cessent le travail. Dans certaine villes (Nantes, Besançon) les policiers ne sortent plus des commissariats. Depuis quelques jours les préfets répondent mollement aux consignes du pouvoir central. Certains se claquemurent dans leurs locaux, d'autres font discrètement leurs bagages. Des ministres prennent à tout hasard leur billet d'avion.
Le 29 la CGT a organisé dans toutes les villes les manifestations ("gouvernement populaire avec les communistes") les plus massives depuis celles du 13.
Le même jour, Napoléon IV est monté dans un hélicoptère.
Et il a disparu.
Je me souviens que plusieurs mois après nous nous disions qu'après tout nous aurions vu ça. Tout le glorieux bastringue montrant sa substantielle fragilité, vacillant sur ses pattes. Le personnel des étages nobles prenant ses cliques et ses claques. L'état devenu courant d'air...
Je me souviens de ces jours-là, je suis place Saint-Michel, des petits groupes tournent et retournent en face du barrage de gardes mobiles qui coupe le pont Saint-Michel. Des bruits, vrais ou faux, circulent sur les allées et venues de blindés autour de Paris.
Et vers 18h30, il réapparaît à Colombey. Il reste.
Il y a au moins cinq versions de ce qui s'est passé à Baden-Baden entre le général de Gaulle et le général Massu, commandant des Forces Françaises en Allemagne. La première, la moins crédible, est celle de la manoeuvre politique brillante, qui aurait consisté d'un côté à angoisser le bon peuple en le laissant en plan, et de l'autre à menacer les récalcitrants en agitant la marionnette du redoutable parachutiste. La seconde est une variante de la première : le général veut s'éloigner de Paris le temps de la manifestation CGT pour juger de loin l'attitude du PCF, et éviter au passage d'être pris pour cible à l'Elysée, au cas où...
La troisième version est celle du rabibochage avec l'armée et les anciens d'Algérie, y compris les ex-OAS, dont de Gaulle va avoir besoin contre la gauche, et cela dès la manifestation du 30 mai.
La quatrième, qui a pour elle les confidences de Massu lui-même et de Pompidou, est celle du passage à vide. De Gaulle n'a plus goût à rien, il envisage l'exil, peut-être en Irlande, et se fait remonter le moral par le rugueux mais brave cinq-étoiles.
La cinquième est à la fois la plus invraisemblable et la plus instructive, c'est celle d'Henri-Christian Giraud (8) : de Gaulle serait allé chercher auprès de Massu confirmation de la position soviétique. Le général Kochevoï, commandant les forces de l'armée rouge en Allemagne, venait de rendre visite la veille au chef des FFA et lui avait tout simplement demandé ce que l'armée française attendait pour "écraser" les manifestants parisiens. Il lui avait même promis que les Russes ne tenteraient pas de profiter de la situation s'il dégarnissait le territoire allemand pour intervenir en France...
Certes, cela fait beaucoup de coïncidences et de rocambolesque, et de Gaulle avait d'autres moyens de s'assurer de l'appui des russes. Mais l'intéressant dans cette histoire c'est le court-circuit temporel entre la position sans ambigüité du général soviétique, la réapparition d'un Napoléon IV ragaillardi et l'inaction du PCF. Ce dernier, au matin du 30 mai, était encore publiquement prêt au "gouvernement populaire", et Mitterrand s'était d'ailleurs porté volontaire pour jouer cette partie(9). Et le soir du même jour, après le discours présidentiel, le voici qui bat en retraite et déclare qu'il ira tout confiant aux élections annoncées. Le PCF a eu peur (10) - mais on l'a aussi aidé à avoir peur depuis Moscou où on préférait décidément de Gaulle à Mitterrand. Les russes avaient à fouetter d'autres chats que la droite française : depuis le début du mois d'avril ils préparent l'opération Danube, qui est déclenchée le 18 août 1968. Au soir de ce jour-là les paras de la 103ème division aéroportée de la garde vont prendre le contrôle de l'aéroport de Prague, pendant que les armées soviétique, est-allemande, bulgare, hongroise et polonaise entrent en Tchécoslovaquie. "La Tchécoslovaquie, je m'en bats l'oeil" aurait dit de Gaulle, s'adressant peu auparavant à l'ambassadeur français à Prague, Olivier Wormser.
Napoléon IV fait son retour à la radio le 30 mai et le Service d'Action Civique fait défiler les abreuveurs de sillons. En deuxième ligne de la manifestation, Gilbert Zemmour, caïd n°1 du milieu parisien de l'époque, veille sur Debré et Malraux - ses petits gars assurent la sécurité de ces braves gens qui nous ont traité pendant un mois de pègre et de racaille. L'ordre est rétabli.
En ces jours de début juin Il reste au PCF une vingtaine d'années à vivre, d'une vie de plus en plus inutile et rabougrie. Ce n'est pas Mitterrand qui a tué le PC, et encore moins les gauchistes, c'est la démonstration qu'il a lui-même faite de son inutilité à la fin du mois de mai 1968. A quoi peut bien servir un parti qui recule et remballe son programme alors même qu'il est à la tête de la plus grande grève de l'histoire ? Même si les militants n'allaient se rendre que peu à peu à l'évidence, la messe était dite.
Et quant à nous, nous avions eu droit à une petite leçon d'histoire : le 18 juin plus le 13 mai, en un peu plus d'un jour et en hélicoptère.
Je me souviens : simplement, tout le monde s'était remis à voter pour Napoléon IV. Sous le soleil de juin, les machines à asphalter remontaient le boulevard Saint-Michel, couvées du regard par les gardes mobiles. Le goudron chaud recouvrait lentement le pavé parisien. Nous allions courir longtemps encore.
(à suivre)
(1) Jacques Baynac, Mai retrouvé, Robert Laffont, 1978, p. 33, de loin le meilleur récit de ces journées. Baynac reprend les témoignages qu'il a recueillis, lui-même n'est pas sur les lieux en cette fin d'après-midi du 3 - pris avec les autres dans la cour de la Sorbonne il tente de s'échapper, est repris, tabassé, et n'est relâché que vers une heure du matin. Ce sont les sans-grade de Mai qui ont fait la journée du 3, et les récits qu'on en lit sont le plus souvent de seconde main - à la notable exception des photo-reportages dont ceux de Gérard-Aimé et d'Elie Kagan, Kagan le passe-partout qui réussit ce jour-là à la Sorbonne l'exploit d'être à la fois dedans et dehors.
(2) Liaisons, magazine de la préfecture de police de Paris, hors-série Mai 68, La documentation française, 2008, p. 25.
(3) En fait les épisodes réellement violents sont en nombre limité : ceux des 3, 6, 7 et 10 Mai à Paris, et des 22 au 24 mai, 10 et 11 juin selon les villes. Les admissions de blessés à l'hôpital ne dépassent le nombre de 50 que cinq jours sur la période, soit les 6, 23 et 25 mai et les 10 et 11 juin selon les données collectées par Alain Delale et Gilles Ragache, La France de 68, p. 231 - éd. du Seuil, 1978, non réédité. Il faudrait bien entendu y ajouter le nombre, inconnu à ce jour, des manifestants blessés soignés dans des infirmeries parallèles pour leur éviter tabassage et inculpation.
(4) En venant quasiment seul devant les manifestants. Seul membre du comité central à sympathiser ouvertement avec les étudiants, il essayait de sauver l'avenir, et en particulier celui de son parti malgré la bêtise de ses propres collègues. Crier Aragon = Guépéou comme le firent ses interlocuteurs, c'était de la bêtise sectaire, qui ne laissait augurer rien de bon. La direction du PC n'était pas monolithique en 68. Aragon, qu'il ait agi en service commandé ou sur initiative personnelle, représentait alors l'aile la plus ouverte. Il fit paraître un numéro des Lettres Françaises qui était un numéro de soutien au mouvement étudiant. Un peu plus tard il prit une position exemplaire sur l'invasion de la Tchécoslovaquie.
(5) Augmentation générale des salaires dans l'industrie privée (7% au 1er Juin et 3% au 1er Octobre), SMIG à 3 francs de l'heure, réduction du ticket modérateur de la SS qui passe de 30 à 25%, projet de loi sur l'exercice du droit syndical dans l'entreprise.
(6) On a expliqué cet échec par un mauvais timing de la CGT de Billancourt : son secrétaire Aimé Halbeher aurait chauffé l'audience à contre-temps avec un mot d'ordre périmé, c'est Georges Séguy qui apportait les vraies nouvelles. Mais après tout, "gouvernement populaire", c'était la ligne du parti telle qu'elle était vécue par la base.
(7) Liaisons, magazine de la préfecture de police de Paris, hors-série Mai 68, p. 6.
(8) Fils du général Giraud, ce qui donne peut-être une tonalité personnelle à son inimitié pour de Gaulle, qu'il a tendance à décrire comme "pro-communiste" alors que le général était simplement machiavélien, avec les moyens du bord qui étaient soviétiques.
(9) Tout en essayant de réduire le PC à la portion congrue, certes, mais c'était à ce dernier de défendre sa place, et il disposait à cet instant de solides arguments. Personne n'a vraiment cru au pouvoir des conseils ouvriers en 68 - et surtout pas les ouvriers eux-mêmes. Ce qui était possible en revanche, c'était un changement de régime avec ce qu'il rendait possible en s'appuyant sur le mouvement existant et les embryons de démocratie directe : vidange du personnel gaulliste, mise au débarras de la Vème et de sa constitution semi-dictatoriale, satisfaction de revendications immédiates et réalisation rapide des réformes urgentes au lieu de mettre 15 ans à les égrener, rééquilibrage durable vers la gauche des équilibres politiques et sociétaux... Sur le moment seul le PC avait les forces de porter un tel programme qui était d'ailleurs, nominalement, le sien. C'est donc sur lui que devait tomber le fardeau de l'échec.
(10) Depuis plusieurs jours le PC craignait un "18 Juin de droite et d'extrême-droite", avec l'appui d'une partie de l'armée et si nécessaire une base à l'étranger.
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