18/12/2007

Ce qui se passait au printemps de 1839 (le voyage de Meryon #5)

Baudelaire au collège, 1833

18 Avril 1839 : B
audelaire est renvoyé du lycée Louis-le-Grand

A M. le Colonel Aupick

Ce matin M. votre fils, sommé par le sous-directeur de remettre un billet qu'un de ses camarades venait de lui glisser, refusa de le donner, le mit en morceaux et l'avala. Mandé chez moi, il me déclare qu'il aime mieux toute punition que de livrer le secret de son camarade, et pressé de s'expliquer dans l'intérêt même de cet ami qu'il laisse exposé aux soupçons les plus fâcheux, il me répond par des ricanements dont je ne dois pas souffrir l'impertinence. Je vous renvoie donc ce jeune homme, qui était doué de moyens assez remarquables, mais qui a tout gâté par un très mauvais esprit, dont le bon ordre du collège a eu plus d'une fois à souffrir. Veuillez agréer, Monsieur, avec l'expression de mes regrets, l'assurance de mes sentiments les plus respectueux et les plus distingués.
Le proviseur, J. Pierrot




Modèle de système de barricades, dessin de Blanqui
Instruction pour une prise d'armes, 1866

Dimanche 12 Mai 1839, midi : Auguste Blanqui entre dans un café au coin de la rue Mandar et de la rue Montorgueil, et entraîne les adhérents de la Société des Saisons qui y sont réunis. Ils sont rejoints par leurs camarades, préalablement convoqués par leurs chefs de semaines dans des arrière-salles de marchands de vins sis entre les rues Saint-Martin et Saint-Denis. Au nombre de cinq ou six cents et au cri de "aux armes" ils dévalisent l'armurerie Lepage. Blanqui et Barbès distribuent fusils et cartouches. Ils prennent les postes de garde de la mairie du VIIe et du Palais de justice, puis l'Hôtel de Ville, où ils font une proclamation.

Aux armes, citoyens !


L'heure fatale a sonné pour les oppresseurs. Le lâche tyran des Tuileries se rit de la faim qui déchire les entrailles du peuple; mais la mesure de ses crimes est comble. Ils vont enfin recevoir leur châtiment. La France trahie, le sang de nos frères égorgés, crie vers vous, et demande vengeance; qu'elle soit terrible, car elle a trop tardé. Périsse enfin l'exploitation, et que l'égalité s'asseye triomphante sur les débris confondus de la royauté et de l'aristocratie. Le gouvernement provisoire a choisi des chefs militaires pour diriger le combat; ces chefs sortent de vos rangs, suivez-les ! ils vous mènent à la victoire. Sont nommés : Auguste Blanqui, commandant en chef, Barbès, Martin-Bernard, Quignot, Meillard, Nétré, commandants des divisions de l'armée républicaine.

Peuple, lève-toi ! et tes ennemis disparaîtront comme la poussière devant l'ouragan. Frappe, extermine sans pitié les vils satellites, complices volontaires de la tyrannie; mais tends la main à ces soldats sortis de ton sein, et qui ne tourneront point contre toi des armes parricides.
En avant ! Vive la République !

Les membres du gouvernement provisoire, Barbès, Voyer d'Argenson, Auguste Blanqui, Lamennais, Martin-Bernard, Dubosc, Laponeray Paris, le 12 mai 1839


Mais comme ils restent isolés les insurgés quittent l'Hôtel de Ville. Ils élèvent des barricades dans le quartier Saint-Martin puis, repoussés par l'armée, dans celui de Saint-Merri. On se bat encore le lendemain rue Saint-Louis et rue Saint-Claude comme le décrit Hugo dans Choses vues, et à l'Ecole Polytechnique, mais les insurgés sont écrasés : cinquante morts, cent-quatre-vint-dix blessés de part et d'autre, Barbès laissé pour mort sur la barricade de la rue Greneta, Blanqui en fuite arrêté cinq mois plus tard. Tous deux sont condamnés à mort, puis graciés et enfermés.

"Hier, à trois heures et demie, aux premiers coups de fusil, le roi a fait venir chez lui le maréchal Soult et lui a dit : "Maréchal, l'eau se trouble. Il faut pêcher des ministres." Une heure après, le maréchal est venu chez le roi et lui a dit, en se frottant les mains, avec son accent méridional : Cette fois, Sire, jé crois qué nous férons notré coup". Il y a, en effet, ce matin un ministère dans le Moniteur" (1).


La crise ministérielle qui durait depuis trop longtemps aux yeux de Louis-Philippe est résolue. Le maréchal Jean-de-Dieu Soult est premier ministre.


Le colonel Aupick, beau-père de Baudelaire, ne couche pas chez lui dans la nuit du 12 au 13 : il participe activement à la répression. Cela lui vaudra
trois mois plus tard d'être promu général de brigade.



Le général Aupick


Mai 1839 : le capitaine Langlois est en France, de retour de Nouvelle-Zélande. Il revend la Péninsule de Banks à un groupe d'hommes d'affaires de Nantes et de Bordeaux qui forment la "Compagnie Nanto-Bordelaise" avec la participation du duc Decazes, ex-premier ministre de la Restauration, industriel fondateur de Decazeville, et le soutien du maréchal Soult, premier ministre en exercice. Langlois conserve une bonne part des actions.



Le maréchal Jean-de-Dieu Soult, caricature par Daumier


Louis-Philippe hésite. La Marine pousse à établir une colonie en Nouvelle-Zélande, afin d'y disposer d'un port pour les baleiniers et les bateaux de commerce français, et pour donner un coup d'arrêt à l'expansion anglaise. Le ministère des affaires étrangères est bien plus prudent. Soult parvient à convaincre le roi et le 9 Décembre 1839 le gouvernement donne son assentiment au contrat proposé par la Nanto-Bordelaise; il lui verse une subvention, met à sa disposition un navire de guerre, L'Aube, capitaine Lavaud, ainsi qu'un bateau pour le transport des colons français, le Comte de Paris dont Langlois prendra le commandement. Les administrateurs de la Nanto-Bordelaise s'engagent à rétrocéder au gouvernement le cinquième des terres qu'ils acquerront. Devinant la faiblesse des titres de Langlois, ils lui confient des contrats-types à faire signer en leur nom aux chefs maoris. Le projet est simple : acheter encore plus de terre, y installer les colons et déclarer l'île du sud terre française.

Le printemps se termine; Charles Meryon est toujours à l'école navale à Brest, il bûche l'hydrographie, la cartographie et les manoeuvres de marine. Il est considéré comme "intelligent mais indiscipliné" (2) et se prépare à passer l'examen de fin d'études.

23 Juin 1839 : le corps de lady Hester Stanhope est enterré à Joun selon le rite de l'Eglise d'Angleterre et dans un cercueil enveloppé du drapeau britannique, contrairement à ses dernières volontés par lesquelles elle reniait tout lien avec son pays d'origine et avec la religion chrétienne.

C'est maintenant l'été. Le 24 Juillet 1839 le vaisseau de guerre l'Héroïne rentre de Nouvelle-Zélande en rade de Brest. Son commandant, le capitaine Cécille, prend la route de Paris. A côté de lui dans la diligence, un jeune cadet de seconde classe tout juste sorti de l'école navale, onzième sur soixante de sa promotion, Charles Meryon. Cécille lui expose les plans de colonisation de l'île du Sud et l'encourage vivement à rejoindre le capitaine Lavaud qui va partir sur l'Aube pour la péninsule de Banks.

(1) Victor Hugo, Choses vues, Dimanche 12 Mai 1839.

(2) Roger Collins, Charles Meryon, a life, Garton & Co, Devizes, 1999, p. 29.



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